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chananéens, hébreu classique ; samaritain (Pentateuque) ; phénicien, punique.

Branche aramaïque ou septentrionale : Araméen ; chaldéen biblique, chaldéen targumique, chaldéen babylonien, chaldéen rabbinique ; dialectes juifs ; syriaque, syriaque occidental, langue et littérature de Palmyre (ère chrétienne) ; peschito (IIe siècle après J.-C) ; littérature syriaque chrétienne (au IVe siècle) ; néo-syriaque, maronite et jacobite assyrien, chaldéen oriental (inscriptions cunéiformes de Babylone et de Ninive) ; nabatéen, nestorien.

Famille indo-européenne. Division méridionale. Branche indienne : Idiome védique, sanscrit, pali, prâcrit, magadhi, indi, indoustani ou ourdou, bridj bacha, rangri bacha, pendjabi, moultani, djataki, sindhi, marwadi, cachemirien, gouzzerati, mahratti, kanodji, gaur ou bengali, maithila ou tirhouti, orissa ou ourya, tzigane.

Branche iranienne : Zend, vieux perse, inscriptions cunéiformes, pehlvi, parsi, persan, afghan, pouschtou, beloutche, kourde, ancien arménien, arménien, ossète.

Branche celtique. Rameau gaélique : Haut écossais, irlandais, manx. Rameau kymrique : gallois, cornique, bas breton.

Branche pélasgique ou gréco-latine. Rameau hellénique : Grec (dialectes éolien, dorien, ionien, attique), grec moderne. Rameau italique : latin (dialectes sabin, étrusque, osque, ombrien), daco-romain, provençal, italien, espagnol, portugais, français.

Rameau scandinave : Ancien nordique, islandais, norvégien, suédois, danois.

Branche illyrienne : Albanais.

Branche slave. Rameau lettique ou lithuanien : Lithuanien, borussien ou ancien prussien, lette ou livonien.

Rameau slave (division sud-est) : Slavon ecclésiastique, bulgare, russe, illyrien (slovène, croate, serbe).

Rameau slave (division ouest) : Polonais ou lékhique ; ancien bohémien, tchèque ou bohème : polabe, sorabe ou vinde.

Branche germanique. Rameau haut aliemand : Ancien haut allemand, moyen haut allemand, allemand, souabe, bavaro-autrichien, franconien.

Rameau gothique ou bas allemand : Gothique ; anglo-saxon, anglais ; ancien hollandais, hollandais ou néerlandais, flamand ; ancien frison, frison ; ancien saxon, dialectes de l’Allemagne septentrionale. V. langage et linguistique.

Langue d’oc. V. oc (langue d’).

Langue d’oïl. V. oïl (langue d’).

Langues liturgiques. En quelles langues la liturgie fut-elle célébrée, dans les premiers temps de l’Église et aux siècles suivants ? Ce fut assurément dans les langues qui étaient vulgaires, à cette époque, chez chacun des peuples auxquels l’Évangile fut annoncé. Ainsi, on pense que les premiers successeurs des apôtres célébrèrent en langue chaldaïque ou syriaque, à Jérusalem et en plusieurs autres lieux ; en grec, à Antioche, à Alexandrie ; en latin, dans les contrées de l’Occident où la langue latine était vulgaire. Qu’il en ait été de même pour les langues des autres pays, c’est ce qu’établit avec évidence ce passage d’Origène contre Celse : « Les Grecs se servent de mots grecs ; les Romains, de mots romains ; et tous les autres peuples prient et louent Dieu chacun dans sa langue… Dieu, étant le maître de toutes les langues, exauce ceux qui le prient en tant de langues diverses comme s’ils priaient en une seule et même langue ; car il n’est pas comme les hommes, qui, sachant une langue ou barbare ou grecque, ignorent les autres, et ne se mettent pas en peine de ceux qui parlent une langue différente de la leur. » Il est évident qu’Origène constate ici la pratique liturgique telle qu’elle existait de son temps.

Outre cette preuve générale, nous pouvons en donner de spéciales pour chaque langue.

1o Langue égyptienne ou copte. Saint Antoine ne savait pas le grec, car il ne put entendre que par le moyen d’un interprète les philosophes grecs qui vinrent pour conférer avec lui. Or, saint Antoine entendait la liturgie, il était très-attentif à tout ce qui se lisait à l’église et en conservait le fruit dans son cœur, et on sait que sa vocation fut déterminée par une parole de l’Évangile.

Nous savons néanmoins, par saint Jérôme, que la version grecque des Septante se répandit beaucoup dans toute la région qui s’étend de Constantinople à Antioche, ainsi que dans toute la Palestine, et qu’elle y était d’un usage universel. Les copies qui circulaient dans ces contrées étaient celles qui avaient été écrites par les soins d’Origène, et qu’y avaient répandues Eusèbe et le martyr saint Pamphyle. Paul Diacre nous apprend aussi que la liturgie grecque de saint Basile devint plus tard très-commune chez ces peuples. Or, il n’est pas moins avéré que la plupart des Orientaux, notamment ceux de certaines parties de l’Égypte, les Cappadociens, les Lycaoniens, les Galates, les Syriens, usaient de dialectes particuliers.

2o Langue arménienne. Saint Sabas, ayant vu un certain nombre d’Arméniens se ranger sous sa discipline, leur céda une église, où ils lisaient l’Évangile et faisaient toute la liturgie en leur langue. Ces Arméniens étaient probablement catholiques, car, autrement, Sabas ne les eût pas reçus dans sa communion. Personne n’ignore que la liturgie arménienne est encore aujourd’hui en vigueur.

3o Langue besse. Saint Théodore, contemporain et voisin de saint Sabas, avait trois monastères : un de Grecs, un d’Arméniens et un troisième de Besses. On ne sait d’où venaient ces derniers ni quelle était leur langue. Bolland suppose, sans fondement, que cette langue n’était autre que l’esclavon ; mais, ce qui est certain, c’est que les religieux de ce nom faisaient l’office en leur propre langue, aussi bien que les Grecs et les Arméniens ; leur séparation en trois maisons distinctes n’avait pas d’autre motif.

4o Langue éthiopienne. Les Éthiopiens, convertis par saint Frumence, que saint Athanase leur avait donné pour évêque, et les Scythes, convertis à la foi chrétienne du temps de Jean Chrysostome, durent aussi avoir leur liturgie en langue vulgaire ; car il n’y a nulle apparence qu’ils entendissent le grec, et, moins encore, que, contrairement à la discipline jusque-là universellement observée, comme nous l’avons vu par le témoignage d’Origène, on leur eût donné une liturgie en langue inconnue.

Quant aux Églises occidentales, il n’y a pas de raison pour supposer que la liturgie y ait été célébrée dans une autre langue que la langue latine. La conquête romaine, comme le remarque saint Augustin, avait imposé la langue latine comme une nécessité à toutes les nattons conquises. « Les peuples d’Afrique, dit Juste Lipse, comme ceux d’Espagne, de Pannonie, d’Angleterre, adoptèrent avec joie cette langue, au point d’oublier à peu près complètement la leur. » — « Apulée, ajoute ce savant dans ses Florides, le témoigne par rapport à l’Afrique, et les sermons de saint Cyprien, de saint Augustin et d’autres Pères en font foi. Pour les Gaulois, Strabon, dès le temps d’Auguste, dit qu’on ne les devait point appeler barbares, ayant pris les coutumes des Romains aussi bien que leur idiome. Il affirme la même chose des Espagnols, et Velléius en dit autant de ceux de Pannonie. Il paraît, par Tacite, qu’Agricola inspira aux Anglais le désir d’être éloquents dans la langue latine, bien que, auparavant, ils eussent dédaigné de s’en servir. »

Langue verte. On a donné, de nos jours, le nom de langue verte à un ensemble de locutions imagées, tirées du vocabulaire des halles, des faubourgs et des ateliers ; ce n’est pas l’argot, c’est quelque chose de bien plus conventionnel et de bien plus flottant. L’argot est à peu près immuable ; c’est une langue fixée, on pourrait dire une langue morte, puisqu’on en a pu faire le dictionnaire ; la langue verte s’accroît chaque jour de mots et de métaphores imprévues, et son dictionnaire, tenté par Alfred Delvau, n’est ni fait ni à faire.

Ce vocabulaire n’est cependant pas indigne d’attention ; il a du nerf et de la couleur. Il n’est pas un seul écrivain viril de notre époque qui n’en ait fait usage à son heure, et un grand nombre des locutions hasardées dont se compose la langue verte fera partie, dans un temps plus ou moins reculé, de la véritable langue. Nous n’en voulons pour preuve que la grande quantité de mots, qualifiés de bas dans les anciens dictionnaires, et même dans le Dictionnaire de l’Académie, et qui maintenant ont leurs entrées dans le plus haut style. C’était la langue verte de nos pères ; Montaigne, Amyot, Rabelais, Saint-Amant, La Fontaine fourmillent de ces mots-là, que la pruderie du XVIIe et du XVIIIe siècle a écartés, mais qui sont si bons, que nous avons dû les reprendre.

La langue verte se compose principalement de locutions triviales, mais énergiques, de mots forgés avec à-propos, de métaphores originales et pittoresques, trouvées par le peuple, et que, le plus souvent, un littérateur serait inhabile à imaginer. Rabelais remarquait déjà qu’il y avait, de son temps, un certain nombre de mots, qu’il appelait des « espaves » venues on ne sait d’où, et lui, qui a tant fait pour la langue verte, il avertissait pourtant de se garder de ces mots-là. Malherbe disait qu’il apprenait son français des gens du port, et Du Marsais allait chercher aux halles des provisions de tropes. Ainsi, l’existence et même l’excellence de cette langue a été reconnue de tout temps. On sait que les Anglais appellent cant l’argot des voleurs, et slang l’argot en général, la langue imagée et bizarre du peuple, des matelots, des ouvriers. On peut connaître le cant sans être un voleur, par amour de l’art, mais il faut une étude spéciale ; quant au slang, tout le monde le parle ou le comprend. Ce n’est pas une langue spéciale, c’est une langue à côté de la véritable. Le slang anglais correspond exactement à notre langue verte. « J’en conviens sans effort, dit à ce propos Alfred Delvau, c’est une langue sanglante et impie, le cant, l’argot des voleurs et des assassins ; une langue triviale et cynique, brutale et impitoyable, athée aussi, féroce aussi, le slang,' l’argot des faubouriens et des filles, des voyous et des soldats, des artistes et des ouvriers. Toutes deux, je le sais, renferment une ménagerie de tropes audacieux, ricaneurs et blasphémateurs, une cohue de mots sans racines dans n’importe quelle autre langue, sans aucune étymologie, même lointaine, qui semblent crachés par quelque bouche impure en veine de néologisme, et recueillis par des oreilles badaudes ; mais toutes deux aussi, quoi qu’on fasse et dise, sont pleines d’expressions pittoresques, de métaphores heureuses, d’images justes, de mots bien bâtis et bien portants, qui entreront un jour, de droit, dans le dictionnaire de l’Académie, comme ils sont entrés, de fait, dans la circulation et même dans la littérature. »

Avant A. Delvau, quelques érudits avaient essayé de faire la nomenclature et le classement de toutes ces richesses. M. Francisque Michel a fait sur l’argot un gros volume étymologique ; M. Lorédan Larchey a publié ses Excentricités du langage, qui contenaient si bien le germe et le développement du Dictionnaire de la langue verte, qu’il a pu faire à Alfred Delvau un procès en contrefaçon et le gagner. Mais un Français réfugié à Amsterdam, P.-J. Le Roux, avait publié, en 1718, dans cette ville, un Dictionnaire comique, satirique, critique, burlesque, libre et proverbial (in-8o), souvent réimprimé, qui peut être considéré comme l’ancêtre de toutes ces publications. Le Roux y expliquait, sous une forme naïvement crue parfois, mais fidèle, « toutes les manières de parler burlesques, comiques, libres, satiriques, critiques et proverbiales, » qui pouvaient se rencontrer dans les auteurs anciens et modernes. Ses continuateurs paraissent avoir eu, en général, l’intention de donner un dictionnaire, non plus du vieux langage, mais du langage des rues et des mauvais lieux, ce qui est souvent bien différent. Nous citerons, par exemple, le Dictionnaire du bas langage ou des manières de parler usitées parmi le peuple (1808, 2 parties, in-8o), œuvre d’un anonyme. La comparaison des locutions recueillies dans cet ouvrage, déjà ancien, car rien ne vieillit comme une langue conventionnelle, avec celles qui forment la langue verte actuelle est curieuse ; on y suit le progrès des temps. Combien notre langue verte est plus cynique et plus brutale que celle de nos pères ! Qu’on en juge. Ils croyaient être excentriques en disant : « Faire grincer l’archet, » nous disons : « Racler le boyau. » Ils classaient dans la langue populaire : « J’ai un appétit de femme grosse ; » où mettraient-ils : « J’ai un requin dans le nombril ? » Pour mourir, ils disaient plaisamment : « Tourner de l’œil ; » nous disons : « Casser sa pipe, dévisser son billard, éteindre son lustre. » De leur temps, un voleur facétieux criait à sa victime : « Fais sonner tes sonnettes ; » de nos jours, il dit : « Aboule ta braise. » Siroter, lever le coude, boire à tire-larigot semblaient alors le nec plus ultra du style grivois ; nous avons : « Laver la dalle, jeter dans le plomb, se rincer le fusil, s’en fourrer dans le gilet, s’en faire péter le cylindre, » ce qui est bien plus drôle. Et « se sculpter une gueule de bois » au lieu de « se soûler ! »

Mais où notre supériorité se manifeste encore davantage, c’est dans les appellations variées dont notre langue verte désigne les filles et femmes galantes. Nos pères n’avaient à leur disposition qu’une demi-douzaine de termes. Ils disaient : une impure, voire même une cocotte (le mot se trouve dans le Dictionnaire du bas langage de 1808) ; nous avons : chahuteuse, baladeuse, noceuse, bastringueuse, cascadeuse, belle de nuit, camellia ; voulaient-ils descendre jusqu’à l’injure, ils possédaient : catin, donzelle, drôlesse, coureuse, gueuse, gourgandine, carogne. Comme notre langue verte est bien plus riche : allumeuse, grenouille, gouge, grue, gadoue, blanchisseuse de tuyaux de pipe, chameau, chausson, crevette, éponge, toupie, gouine, marmite, morue, omnibus, paillasse, pierreuse, punaise, rouchie, rouleuse, taupe, traînée, sangsue, tireuse de vinaigre, tocandine ( ?), rutière ( ?), vadrouille ( ?), vessie !!!

Cette langue ignoble est pourtant spirituelle, par éclairs. Ainsi, elle appelle un concierge, cloporte (clôt-portes) ; une repasseuse, grilleuse de blanc ; un cadenas, crapaud ; un pompier, lance-l’eau ; la pièce de 5 francs, une roue de derrière ; elle dit qu’il lansquine, quand il pleut, par souvenir des hachures produites à l’horizon par une troupe de lansquenets ; elle dit d’un homme qui vous crache à la figure en parlant : son fusil écarte, etc. ; elle emprunte à tous les métiers, à tous les jeux, à tous les hasards de la vie, des métaphores typiques et pittoresques. N’importe ; son côté caractéristique est précisément le plus ignoble ; ses meilleurs mots sont ceux qui ne s’écrivent pas. Aussi, tout en annonçant qu’il en donnait le dictionnaire, A. Delvau a-t-il été forcé de laisser à la porte de son livre presque tous ceux qu’on serait tenté d’y chercher.

— Bibliogr. Bien que la philologie soit une science toute nouvelle, le nombre de travaux auxquels elle adonné lieu est immense ; nous en donnerons une idée au mot linguistique,

— Allus. hist. Langues d’Ésope, Mots qui rappellent un trait de la vie du fabuliste grec. Suivant la tradition, Ésope, esclave du philosophe Xanthus, reçut un jour de son maître, qui avait invité plusieurs de ses amis à dîner, l’ordre d’acheter au marché ce qu’il y aurait de meilleur, et rien autre chose. « Je t’apprendrai, dit en lui-même le Phrygien, à spécifier ce que tu souhaites, sans t’en remettre à la discrétion d’un esclave. » Il n’acheta donc que des langues, qu’il fit accommoder à toutes les sauces : l’entrée, le second service, l’entremets, tout ne fut que langues. Les conviés louèrent d’abord le choix d’Ésope ; à la fin, ils s’en dégoûtèrent. « Ne t’avais-je pas ordonné, dit Xanthus, d’acheter ce qu’il y avait de meilleur ? — Hé ! qu’y a-t-il de meilleur que la langue ? répondit Ésope. C’est le lien de la vie civile, la clef des sciences, l’organe de la vérité et de la raison ; par elle, on bâtit les villes et on les police ; on instruit, on persuade, on règne dans les assemblées ; on s’acquitte du premier de tous les devoirs, qui est de louer les dieux. — Eh bien, reprit Xanthus, qui prétendait l’embarrasser, achète-moi demain ce qu’il y a de pire : ces mêmes personnes viendront chez moi, et je veux diversifier. »

Le lendemain, Ésope ne fit encore servir que des langues, disant que la langue est la pire chose qui soit au monde : « C’est la mère de tous les débats, la nourrice de tous les procès, la source des divisions et des guerres. Si elle est l’organe de la vérité, elle est aussi celui de l’erreur, et, qui pis est, de la calomnie. Par elle, on détruit les villes ; si d’un côté, elle loue les dieux, de l’autre, elle est l’organe du blasphème et de l’impiété. »

Les langues d’Ésope sont restées célèbres pour désigner ce qui, pouvant être envisagé sous deux aspects opposés, donne prise également à la louange ou à la critique.

« On peut dire des impôts ce qu’Ésope disait de la langue : il n’y a rien de si excellent ou de si détestable ; c’est l’emploi qui en décide. »
                           Pierre Leroux.

« Le cœur d’une femme, répliqua le chevalier,
le cœur d’une femme ! tenez, cela ressemble
à un petit oiseau qui vole de branche
en branche, de fleur eu fleur…, qui chante sur
le gazon, qui gazouille sur la haie…, dont les
pleurs sont des ris, dont les ris sont des
pleurs… Ma foi, messieurs, le cœur d’une
femme, c’est la pire ou la meilleure des choses ;
c’est le plat du bossu. »
                    (Revue des Deux-Mondes.)


Langue philosophique (essai d’un caractère graphique réel et d’une), par John Wilkins (Londres, 1668, in-fol.). Cet ouvrage fut beaucoup remarqué en Angleterre à la fin du XVIIe siècle, et, bien que l’on n’ait pas épargné les railleries à l’évêque de Chester et à sa langue philosophique universelle, son livre offre la meilleure solution qui ait encore été proposée d’un problème plein d’intérêt, quelle que soit l’importance pratique qu’on voudra lui attribuer. Le problème, en lui-même, est certainement susceptible d’une solution, comme le montrera l’analyse que nous allons entreprendre du système de Wilkins, d’après Max Millier, qui l’a savamment exposé dans ses Nouvelles leçons sur la science du langage. L’objet premier du prélat anglais n’était pas d’inventer une nouvelle langue parlée, quoique son ouvrage aboutisse à ce résultat, mais d’imaginer un système graphique universellement intelligible, comme sont les notations et les signes de chimie, d’astronomie et de mathématiques, et, en général, tous les signes idéographiques. « Si à chaque chose et à chaque notion, dit Wilkins, l’on assignait une marque distincte, et si l’on avait quelque méthode pour indiquer les dérivations et les flexions grammaticales, cela pourrait suffire pour atteindre un des résultats principaux auxquels conduirait l’établissement d’un caractère graphique réel, savoir, l’expression de nos conceptions par des marques signifiant des choses et non point des mots. De même, si l’on adoptait, pour servir de noms à ces choses et à ces notions, certains mots distincts, accompagnés de quelques règles invariables pour les dérivations et les flexions grammaticales qui sont naturelles et nécessaires, et pour celles-là seules, nous aurions alors une langue beaucoup plus facile et commode qu’aucune de celles qui existent. Si ces marques ou notes, ajoute l’auteur, pouvaient être inventées de façon à avoir une dépendance et une relation mutuelles, en rapport avec la nature des choses et des notions qu’elles représenteraient, et, de même, si les noms des choses pouvaient être disposés de telle sorte qu’ils continssent dans leurs lettres et dans leurs sons une certaine affinité ou opposition répondant, en une certaine manière, à la nature des choses qu’ils signifieraient, ce serait là, sans doute, un nouvel avantage, et ce serait non-seulement le meilleur moyen d’aider la mémoire par la méthode naturelle, mais ce serait encore pour l’intelligence un précieux bienfait. En effet, en apprenant les signes et les noms des choses, nous serions alors instruits en même temps de leur nature, et nous acquerrions ainsi cette double connaissance que l’on devrait toujours posséder. »

Wilkins entreprend alors ni plus ni moins qu’une classification de tout ce que nous connaissons ou pouvons connaître, et il prend ensuite ce dictionnaire de notions pour base d’un dictionnaire correspondant de signes, tant écrits que parlés. « Tout cela, dit Max Millier, est fait avec une grande sagacité et beaucoup de réflexion ; et, si nous considérons que ce travail fut entrepris il y a près de deux cents ans, et exécuté par un seul homme, sans le secours d’aucun collabora-