Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 10, part. 1, L-Leo.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fut blessé à Sierra-Negra par le même obus qui tua le général Dugommier, s’empara bientôt après des forts de Figuières et de Roses, et, promu général de division en 1795, fut envoyé à l’armée du Rhin pour organiser l’artillerie, à la tête de laquelle il se distingua aux batailles de Stockach et de Zurich. Employé ensuite à l’armée d’Italie, sous les ordres de Masséna, il dirigea, avec une activité toute juvénile, les travaux de défense de Gênes. En 1802, il fut élevé au rang de sénateur, et reçut peu après le titre de comte et la sénatorerie d’Agen. On a de lui : Recherches sur les meilleurs effets à obtenir dans l’artillerie (1812, 2 vol. in-8o) ; Réflexions sur la fabrication en général des bouches à feu, augmentées d’un traité sur la balistique (1817, in-8o).


LAMARTINE (Alphonse-Marie-Louis de Prat de), un des plus illustres poëtes de la France, né à Mâcon le 21 octobre 1791, mort à Paris le 1er mars 1869. Son père, le chevalier de Lamartine, capitaine d’un régiment de chevau-légers, avait pris le nom de De Prat, tiré d’une terre patrimoniale de Franche-Comté, pour se distinguer de ses frères aînés ; il épousa Mlle  Alix des Roys, fille de l’intendant général des finances du duc d’Orléans, qui fut la mère du poëte. Arrêté après le 10 août, comme royaliste, il resta incarcéré jusqu’au 9 thermidor. Il se retira alors dans ses terres, au château de Milly, près de Mâcon, que les poésies de Lamartine ont rendu presque aussi célèbre que le château de Saint-Point.

Lamartine reçut l’éducation religieuse conforme aux idées de sa famille et à ses propres instincts ; sa mère lui apprit à lire dans la Bible et le confia à l’abbé Dumont, un brave homme qui avait oublié son latin pour la chasse au lièvre et qui connaissait mieux son fusil que son bréviaire. Le moment venu de livrer son disciple aux études sérieuses, il le fit envoyer chez les pères de la foi, à Bellev. En sortant de ce séminaire, Lamartine était déjà poëte, ainsi qu’en témoigne une pièce de vers, d’une facture un peu sèche, mais non dépourvue de beautés, les Adieux au collège de Belley. Le roman de Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie, la Jérusalem délivrée, traduction de Lebrun, Berquin et quelques livres de Mme de Genlis furent ses lectures favorites, avec le Génie du christianisme et le pseudo Ossian de Macpherson. La poésie vague et nébuleuse d’Ossian convenait surtout à ses secrètes aspirations, et Lamartine a conservé toute sa vie pour ce fantôme l’admiration la plus enthousiaste et la moins réfléchie. Il avouait plus tard, dans tout le rayonnement de sa gloire, que, en fait de bibliothèque, un Tacite, un Ossian, une Jérusalem délivrée, un tome dépareillé de Bernardin de Saint-Pierre et une Imitation de Jésus-Christ, ayant appartenu à sa mère, lui avaient toujours suffi. Son génie, tout personnel, fait de méditations et de rêveries, n’avait pas besoin de l’aliment que l’on cherche d’ordinaire dans la lecture ; mais il se priva en même temps d’un appui nécessaire.

Vers l’âge de vingt ans, sa famille le fit voyager ; son père, qui voulait en faire un soldat, était trop bon royaliste pour lui permettre de servir sous Napoléon. Il parcourut l’Italie, résida quelque temps en Toscane, puis à Rome et à Naples, où il rencontra un de ses amis de collège, A. de Virieu, auquel il a dédié un grand nombre de poésies ; il ébauchait à cette époque les principales pièces des Méditations. Lamartine passa l’hiver à Rome et l’été à Naples ; il aimait à vivre en pleine liberté, avec les pécheurs, et c’est en ce moment de sa vie qu’il fut aimé de la pauvre fille idéalisée plus tard par lui sous le nom de Graziella. Le récit poétique et émouvant qu’il a fait de cette liaison de jeunesse est remarquable comme œuvre littéraire, mais donne une bien mauvaise idée des qualités de l’homme ; il y joue le rôle d’un froid égoïste, d’un élégant dandy qui se laisse adorer : le poète ne se retrouve que lorsqu’il s’agit de pleurer, en beaux vers, sur la tombe de l’humble ouvrière morte d’amour : Il paraît que Graziella n’était pas une corailleuse, comme elle est présentée dans le roman, mais une jolie cigarière ; le poète nous a maladroitement révélé, dans des confessions qui détruisent tout le charme des Confidences, qu’il lui avait plu de donner un autre cadre que le véritable à ce gracieux visage, et il a eu tort d’entretenir le public de tous ces détails intimes : la poésie ne gagne rien à soulever ses voiles. Elvire et Graziella, comme Béatrix, Juliette et Mignon, sont des créatures idéales qui ne peuvent que perdre en redevenant des femmes.

Rentré en France en 1813, il assista aux dernières convulsions de l’Empire, et, à la Restauration, s’engagea dans le régiment des gardes du corps. Au retour de l’île d’Elbe, il accompagna Louis XVIII jusqu’à la frontière, et, sa compagnie ayant été licenciée à Béthune, il voyagea en Suisse et en Savoie pendant la durée des Cent-Jours. Après Waterloo, il reprit du service dans son ancien corps, mais pour peu de temps, et retourna en Savoie, où Louis de Vignet, un autre de ses amis, le présenta à Joseph de Maistre ; aux eaux d’Aix, il fit la connaissance d’une femme qu’il a rendue célèbre sous le nom d’Elvire et qu’il aima profondément : elle lui inspira ses plus beaux vers. C’était une créole de Saint-Domingue, élevée à la maison de la Légion d’honneur et mariée à dix-sept ans à un vieillard. Le poëte la suivit à Paris (1817), fut mis en relation avec Suard, de Bonald, Mounier, Lally-Tollendal, introduit dans les salons de Mmes  de Saint-Aulaire et de Broglie, et y lut ses premiers essais. Malgré le dédain qu’il a toujours affecté pour le monde, il fréquentait la plus haute société, et il y obtenait de grands succès plutôt comme gentilhomme accompli, de belle mine et de belle prestance, que comme poëte. « La nature, a-t-il dit, ne m’a pas fait pour le monde de Paris ; il m’afflige, il m’ennuie. Je suis né Oriental et je mourrai tel. La solitude, le désert, la mer, les montagnes, les chevaux, la conversation intérieure avec la nature, une femme à adorer, un ami à entretenir, de longues nonchalances de corps, pleines d’aspirations d’esprit, puis de violentes et aventureuses périodes d’action, comme celles des Ottomans et des Arabes, c’est là mon être : une vie tour à tour poétique, religieuse, héroïque, ou rien. » Quoi qu’il en dise, Lamartine passa la plus grande partie de sa vie dans cette société dédaignée, où il se créa des relations nombreuses par sa naissance, sa grande fortune, son élocution agréable et facile ; sa feinte misanthropie n’était qu’un charme de plus pour les jeunes femmes sensibles.

En 1819, il revit, avec sa maîtresse, la vallée d’Aix et le lac du Bourget ; la mort la prit dans cette excursion pittoresque, et diverses pièces des Méditations, le Lac, entre autres, un chef-d’œuvre, et le Crucifix, qui lui est à peine inférieur, resteront comme des monuments éternels de la douleur du poëte. De retour à Paris, il publia les Premières méditations (1820, in-8o). L’effet que produisit ce volume de poésies, d’une mélancolie pénétrante, sur la génération d’alors fut immense. Les jeunes gens, les femmes, toutes les organisations nerveuses et sentimentales, fatiguées du vieux genre monotone et sec du XVIIIe siècle, comme du genre sceptique et fatal de Byron, s’éprirent jusqu’à l’enthousiasme de ce poète qui faisait parler à l’amour une langue nouvelle et associait avec un art incomparable l’âme humaine aux grands spectacles de la nature. Tout un monde nouveau, inexploré, apparaissait dans ces beaux vers, d’un grand souffle et d’une harmonie enchanteresse ; on récitait l’Isolement, le Lac, l’Épître à lord Byron, sans pouvoir se lasser de cette poésie toute neuve qui emportait, d’un coup d’aile, vers les régions idéales, et répondait aux aspirations les plus chastes et les plus élevées. Ce fut comme un enivrement ; trente éditions successives satisfirent à peine à l’avidité de la foule et le nom de Lamartine fut-dans toutes les bouches.

Une jeune et jolie Anglaise, Elisa-Marianne Birch, séduite par cette poésie, et par le poëte lui-même, qu’elle avait rencontré en Savoie, devint, à Genève, Mme de Lamartine, et apporta à son époux une brillante fortune (1823). Depuis son mariage, Lamartine habita tour à tour Naples, Rome et Paris. En 1823 il publia ses Nouvelles Méditations, qui obtinrent presque autant de succès que les premières ; ses vers avaient les mêmes qualités d’ampleur et de sonorité, avec des formes plus arrêtées et plus précises ; quelques pièces, comme l’Ode à Bonaparte, faisaient même vibrer une corde énergique et attestaient qu’au milieu de ses préoccupations mystiques le poëte savait trouver, au nom de la conscience humaine, les plus sévères accents. La Mort de Socrate, excursion dans le néo-platonisme, le Dernier chant du pèlerinage de Childe-Harold, hommage au génie de lord Byron, où, toutefois, il est resté inférieur à son modèle, furent les premiers essais de Lamartine dans le poëme ; il n’a réussi à faire de ces deux compositions que deux longues élégies, qui ne peuvent point passer pour des épopées, mais dont quelques fragments sont admirables.

Lamartine était entré dans la diplomatie au moment où il publiait le Pèlerinage de Childe-ilarold ; nommé, en 1824, secrétaire de légation du marquis de Maisonfort, à Florence, il le remplaça comme chargé d’affaires en 1826. Douloureusement affecté, comme poëte, de l’asservissement des Italiens, il avait mis dans la bouche de Byron une apostrophe virulente qui est un des plus beaux morceaux de la suite de Childe-Harold. 11 lui faisait dire adieu à l’Italie et prononcer ces paroles :

Terre où les fils n’ont plus le sang de leurs aïeux,
Où sur un sol vieilli les hommes naissent vieux,
Où sur les fronts voilés plane un nuage sombre,
Où le fer avili ne frappe que dans l’ombre,
Adieu ! Pleure ta chute, en vantant tes héros
Sur les bords où la gloire a ranimé leurs os !
Je vais chercher ailleurs (pardonne, ombre romaine !)
Des hommes, et non pas de la poussière humaine.

Ces vers soulevèrent la susceptibilité d’un patriote, le colonel Pepe, frère du général de ce nom, proscrit de Naples à la suite d’un mouvement révolutionnaire ; il y répondit par une brochure injurieuse et Lamartine défendit ses vers l’épée à la main. Une rencontre eut lieu dans le jardin même de l’ambassade, et le poëte fut blessé au poignet.

De retour en France, Lamartine se vit proposer, par le ministre des affaires étrangères, le poste de secrétaire général, qu’il refusa, puis celui de ministre plénipotentiaire près du nouveau roi de Grèce (1829). Avant de se rendre à son poste, il publia ses Harmonies poétiques et religieuses (1830, 2 vol. in-8o), qui sont comme la conclusion des Méditations. La manière du poëte y atteignait le suprême degré d’élévation, d’ampleur, mais il devenait presque étranger à l’homme, en se perdant dans les plus hautes régions de l’idéal. Pour les sceptiques, cette poésie vague et solennelle restait vide, et le satirique Barthélémy appela ces Harmonies

Des Gloria patri délayés en deux tomes.

On peut leur reprocher la diffusion et la monotonie, « Plus de rivage ! dit Sainte-Beuve ; rien que les cieux et la plaine sans bornes d’un océan Pacifique. Le bon océan sommeille par intervalle ; il y a de longs jours, des calmes monotones, on ne sait pas bien si on avance ; mais quelle splendeur, même alors, au poli de cette surface ! quelle succession de tableaux à chaque heure des jours et des nuits ! quelle variété miraculeuse, au sein de la monotonie apparente, et, à la moindre émotion, quel ébranlement redoublé de lames puissantes et douces, gigantesques, mais belles, et surtout et toujours l’infini de tous les sens, profundum, altitudo ! » Celui qui a le mieux saisi le caractère particulier de la poésie de Lamartine, c’est Th. Gautier, dans cette magnifique page : « Dans les tableaux de Lamartine, il y a toujours beaucoup de ciel ; il lui faut cet espace pour se mouvoir aisément et tracer de larges cercles autour de sa pensée. Il nage, il vole, il plane comme un cygne se berçant sur ses longues ailes blanches, tantôt dans la lumière, tantôt dans une légère brume, d’autres fois aussi dans des nuages orageux ; il ne pose à terre que rarement et bientôt reprend son essor ; à la première brise qui soulève ses plumes, cet élément fluide, transparent, aérien, qui se déplace devant lui et se referme après son passage, est sa route naturelle ; il s’y soutient sans peine, durant de longues heures, et, de cette hauteur, il voit s’azurer les vagues paysages, miroiter les eaux et pointer les édifices dans un vaporeux effacement. Lamartine n’est pas un de ces poètes, merveilleux artistes, qui martèlent le vers comme une lame d’or sur une enclume d’acier, resserrant les grains du métal, lui imprimant des carres nettes et précises. Il ignore ou dédaigne toutes ces questions de forme, et, avec une négligence de gentilhomme qui rime à ses heures, sans s’astreindre plus qu’il ne faut à ces choses de métier, il fait d’admirables poésies, à cheval en traversant les bois, en barque le long de quelque rivage ombreux, ou le coude appuyé à la fenêtre d’un de ses châteaux. Ses vers se déroulent avec un harmonieux murmure, comme les lames d’une mer d’Italie ou de Grèce, roulant, dans leurs volutes transparentes, des branches de laurier, des fruits d’or tombés du rivage, des reflets de ciel, d’oiseaux ou de voiles et se brisant sur la plage en étincelantes franges argentées. Ce sont des déroulements et des successions de formes ondoyantes insaisissables comme l’eau, mais qui vont à leur but, et, sur leur fluidité, peuvent porter l’idée, comme la mer porte les navires. »

Après la publication des Harmonies, Lamartine, patronné par M. Laisné et par Royer-Collard, entra à l’Académie ; il y occupa le fauteuil du comte Daru, dont il sut faire un éloge très-littéraire. Cuvier, qui le reçut (1er avril 1830), lui reprocha, délicatement, de sacrifier la poésie à la politique, car déjà le poëte, arrivé au comble de sa renommée, mais ayant épuisé son génie, aspirait à quitter la diplomatie pour la politique active. Par malheur, la politique lui réservait bien des mécomptes, car la sensibilité qui charme les femmes et les enfants ne suffit pas pour gouverner un peuple. Il se disposait à gagner son poste de ministre à Athènes, et il était déjà en route lorsque survint la révolution de Juillet ; il renonça à la carrière diplomatique et posa sa candidature pour la députation à Toulon et à Dunkerque. À cette occasion, la Némésis le poursuivit d’une façon grossière et l’invita à se présenter aux électeurs de Jéricho. Lamartine répondit en beaux vers, mais n’en subit pas moins un échec électoral ; il résolut alors de voyager, fréta un navire pour l’Orient et se mit en route, avec un faste qui lui a été plus tard amèrement reproché. Il emmenait avec lui sa femme et sa fille Julia, belle enfant d’une douzaine d’années qui lui fut enlevée, à Beyrouth, par une cruelle maladie de poitrine. Lamartine ressentit douloureusement ce coup que lui portait l’adversité, et il se noya de plus en plus dans cette mélancolie vague où il se complaisait. Il continua son voyage, visita Jérusalem, se vit prédire, par une illuminée, lady Esther Stanhope, qu’un jour il aurait en main la suprême puissance, et revint enfin en France, où l’un des collèges du département du Nord l’avait appelé à la députation (1833). Cette pittoresque excursion, effectuée avec une prodigalité tout orientale, nous valut les deux intéressants volumes du Voyage en Orient, pleins de descriptions d’une grande richesse, plus que d’aperçus originaux ; il est douteux que ce livre puisse servir de guide en Orient, mais il déroule une profusion d’idées et d’images dignes d’un grand poëte.

À la Chambre, pour ses débuts, Lamartine se rallia à la monarchie de Juillet, tout en faisant ses réserves. Dans son premier discours (janvier 1834), il se déclara conservateur indépendant, prêt à soutenir le gouvernement dans les crises, mais se réservant de lui faire échec dès que l’ordre matériel et la sécurité publique ne courraient plus de dangers. Il fut dès le premier jour ce qu’il resta durant tout le règne de Louis-Philippe, le chef d’un parti qui se composait de lui seul. Ses discours à la tribune sont, pour la plupart, de magnifiques développements d’éloquence, d’une fluidité admirable, mais peu concluants. Notons, toutefois, ceux qu’il prononça dans la discussion de l’adresse (janvier 1834), au sujet de la loi sur les associations (juin, même année), pour l’abolition de la peine de mort (1836), pour la défense des études universitaires attaquées par Arago (1836) et sur divers projets de loi concernant l’assistance publique. Sa parole charmait la Chambre, sans jamais l’entraîner au vote, et la haute raison qui la dictait souvent semblait trop enveloppée de poésie pour convaincre les esprits positifs ; l’éloquence abondante et fleurie fait toujours l’effet d’un piège sur les hommes prétendus sérieux. Lamartine combattit avec la même vivacité, mais sans plus de succès, les lois de septembre, la coalition qui menaçait le cabinet Molé (1839). Il émit sur la question d’Orient des idées lumineuses, mais trop radicales, car il ne proposait rien moins que la suppression de l’empire ottoman et réclamait un congrès européen pour régler la question d’une manière définitive : Thiers et Guizot le combattirent à outrance. Dans les questions sociales, il se montra un ardent apôtre du progrès, un défenseur éloquent des droits et des souffrances des prolétaires, mais son catholicisme le laissait à peu près sans action sur les masses comme sur la Chambre ; il ne parlait que d’une rénovation religieuse ; il voulait, comme remède à tous maux, « législater le christianisme, » ce qui n’était que le rêve d’un esprit enclin au mysticisme, heureux de planer, dans les nuages, au-dessus des solutions possibles et pratiques. Son hostilité contre le gouvernement s’accentua à la suite de tous ces échecs ; quoiqu’un portefeuille lui eût été offert, par le roi lui-même, dans diverses combinaisons ministérielles, il s’éloigna de plus en plus d’un pouvoir qui « restait immobile, qui muselait la presse, ajournait sans cesse les réformes utiles aux masses, laissait stérile une révolution faite par le peuple et présentait à l’Europe le spectacle démoralisateur d’hommes qui ne se servent des plus saintes espérances de l’humanité que comme d’une arme pour conquérir les positions politiques. » Lamartine s’effrayait de ne trouver dans le gouvernement de 1830 ni action grande, ni idée directrice : « Il ne faut pas se figurer, disait-il, que parce que nous sommes fatigués, le siècle et nous, tout le monde est fatigué comme nous et craint le moindre mouvement. Les générations qui grandissent derrière nous ne sont pas lasses, elles ; elles veulent agir et se fatiguer à leur tour. Quelle action leur avez-vous donnée ? La France est une nation qui s’ennuie ! » (Séance du 10 janvier 1839). Peu de temps après, il appelait le parti conservateur « le parti des bornes » et prédisait, contre Guizot, la « révolution du mépris » (1845). À cette époque, Lamartine était député du collège de Mâcon. Ses compatriotes, jaloux de le voir élu par le collège de Bergues (Nord) en 1833, l’élurent l’année suivante ; mais il opta pour Bergues, où il avait été réélu. En 1837, réélu à la fois dans les deux collèges, il opta pour Mâcon et resta le député de cette ville jusqu’en 1848.

Malgré ces travaux parlementaires, Lamartine montra que, chez lui, l’homme politique n’avait pas absorbé le poëte et le grand écrivain. Il avait publié le Voyage en Orient (1835, 3 vol. in-8o) ; il le fit suivre de Jocelyn (1836, 2 vol. in-8o) et de la Chute d’un ange (1838, 2 vol. in-8o), deux grandes épopées, l’une tout intime et mélancolique, l’autre presque héroïque et chantant les mystérieuses époques de l’humanité primitive. Elles ne devaient être que deux anneaux, le premier et le dernier, d’une longue chaîne d’épopées, embrassant l’histoire entière de l’homme, et que le poëte n’a pas eu la force d’achever. Jocelyn, avec ses pages émues, ses peintures de l’amour chaste et souffrant, ses splendides paysages alpestres, excita de vives sympathies ; la Chute d’un ange obtint moins de succès, à cause de l’étrangeté de la fiction et malgré ses larges inspirations bibliques, ses éblouissants tableaux de la vie orientale. Lamartine avait dit son dernier mot, comme poëte, dans ces deux œuvres ; il ne publia plus de vers qu’un volume de Recueillements poétiques, vibrations prolongées d’une lyre qui commençait à se détendre (1839, in-8o) ; mais l’écrivain allait obtenir son plus grand triomphe par l’Histoire des Girondins (1846, 6 vol. in-8o). Les élections, grâce à la corruption ministérielle, venaient d’être favorables au pouvoir, plus ébranlé que consolidé par cette comédie électorale ; ce fut le moment que choisit Lamartine pour lancer ce livre dans lequel, dit Daniel Stern, l’image si grande des héros de 1789 était un reproche à nos petitesses. La fantaisie tient trop de place dans l’Histoire des Girondins pour qu’on puisse la considérer comme une œuvre définitive sur la Révolution ; mais des pages pleines de souffle, des portraits faits de main de maître, quoique démesurément agrandis, une poésie étincelante jetée sur les plus sombres figures