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son profit, a droit à une somme convenu», appelée profit maritime ; 3<> en cas de perte partielle, ^ prêteur ou son porteur d’ordie, si l’acte a été négocié, n’a droit que sur ce qui reste. Le remboursement de la somme prêtée et le payement du profit maritime ne peuvent être réclamés qu’au retour du vaisseau ; aussi ce mode de contrat est-il appelé prêt à retour de voyage.

Ce prêt diffère du prêt ordinaire en ce que l’emprunteur n’est pas tenu, en cas de perte par fortune de mer, de rembourser la somme prêtée ; et du prêt à intérêt, en ce que le profit maritime peut excéder l’intérêt légal. Le contrat à la" crosse peut être passé en pays étranger : mais, en ce cas, ses effets sont régis par la loi française, à moins que l’emprunteur ne soit un capitaine étranger, opérant sur un navire de sa nation. En pareil cas, l’emprunt est régi par la loi de sa nation.

Ce contrat peut être fait par-devant notaire ou sous signature privée, mais il doit être enregistré. En pays étranger, il est valable loisqu’il est fait devant le consul de France ou en présence de deux témoins. Il doit énoncer le capital prêté, la somme convenue pour profit maritime, les objets sur lesquels le prêt est affecté, les noms du navire et du capitaine, ceux du prêteur et de l’emprunteur, la désignation du voyage et l’époque du remboursement. Si le capital-prêté consiste en marchandises, le contrat doit en énoncer la valeur, l’emprunteur n’étant débiteur que de l’estimation des marchandises prêtées. L’omission de cette énonciation rend le contrat nul. Ce contrat peut être fait à ordre. En ce cas, la garantie du payement du contrat ne s’étend pas au profit maritime.

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faire, le profit à espérer des marchandises à vendre, le salaire de l’équipage, ne peuvent faire matière d’un contrat à Ta grosse. Une des conditions essentielles de ce contrat, c’est que les objets qui y sont affectés courent des risques. La jurisprudence considère comme présomption de fraude l’acte de celui qui emprunte sur des objets déjà assurés ou qui fait assurer des objets déjà affectés à un contrat à la grosse. Ce contrat étant essentiellement aléatoire, le profit maritime n’est pas dû lorsque le prêteur n’a couru aucun risque ; par exemple, quand il s’est fait souscrire une lettre de change en même temps que son bil— let de grosse. Les pertes ne sont a la charge du prêteur qu’autant qu’elles se produisent dans les lieux fixés par le contrat. Lorsque le navire change de route ou de voyage, sans y être forcé par fortune de mer, les pertes ne sont pas à la charge du prêteur. La jurisprudence considère tout changement volontaire de route ou de voyage, après les risques commencés, comme déchargeant le prêteur de tout risque ultérieur, quand bien même le navire n’arriverait qu’après être rentré dans ia route tracée par le contrat. Toute action résultant d’un prêt à la grosse est prescrite cinq ans après la date du contrat, à moins qu’il n’y ait eu dans l’intervalle ou une modification du contrat, ou ùh arrêté de compte, ou une action judiciaire.

Les législations des diverses nations maritimes sont assez uniformes sur cette matière. La plupart s’accordent à ne permettre les emprunts à la grosse qu’aux propriétaires de navires, ou à leurs représentants munis de pouvoirs spéciaux. Le Code de commerce russe confère ce droit au capitaine dans les cas suivants : 1° lorsque, pendant la traversée, il éprouve une grande disette de vivres ; 2» lorsque son navire a été fortement endommagé, ou que ses agrès ne lui permettent pas de continuer sa route" ; 3» lorsque, pour effectuer les réparations dont son bâtiment a besoin, il n’a ni argent comptant ni lettres de crédit avec lesquelles il puisse se procurer des fonds. Le code danois appelle -ce contrat billet de naviret et stipule qu’il doit être payé avant que le navire entreprenne un autre voyage. Le prêteur doit, de son côté, demander son payement dans les six mois de l’arrivée du navire-sous peine de déchéance. La législation des États-Unis permet au capitaine d’emprunter à la grosse en cas de nécessité absolue. Cette nécessité n’existe pas lorsqu’il a des marchandises appartenant soit à lui-même, soit à ses armateurs ; lorsqu’il peut s’adresser à des correspondants ou recourir à d’autres moyens

pour se procurer de l’argent. La loi anglaise met formellement à la charge de l’emprunteur les risques résultant de la défectuosité du navire, ou de la faute volontaire du capitaine. Contrairement à la loi française, le code de commerce de Hambourg autorise le prêteur à faire assurer son capital, ses intérêts et sa prime. D’après le code des Iles Ioniennes, lorsque le voyage excède le temps limité dans le contrat, l’intérêt doit être augmenté à proportion de cet excédant, sans que la diminution de la durée du voyage puisse réduire l’intérêt convenu. Le code maltais diffère du code français en ce qu’il autorise les emprunts sur fret.

Aventure» (les), nom de la vingt-huitième sourate {chapitre) du Coran. Elle comprend quatre-vingt-huit versets, et est ainsi appelée à cause du mot arabe keças, qui se trouve employé au vingt-cinquième verset : • Moïse s’y

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rendit et lui raconta ses aventures. » Dans cette sourate, Dieu raconta à Mahomet l’histoire bien connue de Moïse, telle à peu près qu’elle nous est rapportée dans la Bible. Fuis le récit s’interrompt brusquement et se termine par la légende, fameuse chez les Arabes,

Aventures et espièglerie» de Laiarille de Tormès, roman espagnol, par don Hurtado de Mendoza. On croit généralement que l’auteur, qui était un grand seigneur espagnol, et à qui Charles-Quint confia de hautes missions diplomatiques en Italie, composa ce livre dans sa jeunesse, alors qu’il étudiait à l’université de Salamanque ; mais quelques érudits prétendent qu’il l’écrivit plus tard dans un de ces moments de loisir que pouvaient lui laisser ses fonctions politiques. Quoi qu’il en soit, ce petit roman est une des œuvres les plus originales de la langue castillane, et c’est le plus ancien monument de ce genre de littérature si vrai, si comique, si divertissant, qu’on a appelé le genre picaresque (gusto picaresco) et auquel se rattache un des chefs-d’œuvre de notre langue, le Gil Bios de Le Sage. Lazarille, c’est-à-dire le petit Lazare, raconte lui-même ses aventures. Il est né dans un moulin, sur les bords de la Tormès, près de Salamanque. Sa mère, qui n’a pour lui aucune tendresse et qui cherche à s en débarrasser comme d’un fardeau inutile, le donne à un mendiant aveugle, dont il devient le guide. Ce mendiant est brutal, grossier et fripon : Lazarille apprend à son école toutes les ruses qui peuvent suppléer à la force, dans la lutte du pauvre contre le riche, quand il s’agit de faire tourner les vices ou les ridicules de celui-ci au profit de celui-là. Notre héros passe ensuite au service d’un prêtre ; puis d’un gentilhomme pauvre, mais rempli de vanité ; de là il entre chez un moine, chez un vendeur d’indulgences, chez un alguazil, et dans toutes ces positions, il sait mettre à profit l’expérience qu’il a acquise près du vieux mendiant. Enfin, il se marié sans que l’amour entre pour rien dans cette union, dont les motifs sont loin d’être honorables ; et le roman finit brusquement, en laissant le lecteur dans l’ignorance la plus complète des suites du mariage et des dernières aventures de Lazarille. Mais ce qui fait l’intérêt du roman, c’est qu’il offre une peinture vive, piquante, originale des mœurs populaires du temps : c’est une suite

quelques-uns parurent si lestes qu’ils furent mis au ban de l’Église et supprimés par ordre du saint-office. En 1620, J. de Luna, maître de langue espagnole à Fàris, publia une édition des Aventures de Lazarille, en y ajoutant un complément où l’on ne retrouve aucune des qualités de l’œuvre primitive. Jean Sauvrain, libraire lyonnais, en fit une traduction française, qui fut imprimée à Paris en 1561, et qui eut plusieurs éditions. D’autres /traductions parurent ensuite, et nous signalerons surtout celle de Jean Vander Meeren, qui donna une continuation tout à fait différente de celle du professeur Luna ; puis la traduction de l’abbé de Charnes, qui parut en 1678, et que Didot réimprima, avec quelques changements dans le style, en 1801. Enfin(Horace Pelletier a publié, en 1861, une dernière

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(les), pièce à six perçus aoies, en vers gascons, par

, 1628). Une des treize pièces

fées dans l’Antiquité du triomphe de Béziers. On voit, dans les Aventures de Gazette, une vieille femme qui fait l’éloge de sa fille, laquelle aime si fort le travail Que, per non perdre teras, ben souven on s’aviso, Qu’elle pisse en marohan, san leva la oamiso. Aventure» du baron de Fœneile (LES), roman satirique d’Agrippa d’Aubigné, où l’auteur a semé à pleines mains l’es traits de sa causticité et de sa rude franchise, et qui contient de virulentes épigramnies contre l’Église

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anecdotes piquantes sur les événements et les hommes du temps. Henri IV lui-même n’y est pas toujours épargné. Au fond, ce roman n’est qu une satire dirigée contre les catholiques, attaqués par un rusé et spirituel huguenot, et maladroitement défendus par le baron de Fœneste, gentillâtre ridicule des bords de la Garonne. Ce livre bizarre, d’un genre mixte, est écrit en dialogues. Le baron de Fœneste raconte ses aventures des camps et de la cour. Il s’exprime en un patois que les hommes du Nord ou les étrangers ne peuvent aisément comprendre, mais qui constitue un mérite spécial pour les Français du Midi, toujours amoureux du dialecte roman, parlé dans leurs provinces. On trouve cependant dans cet ouvrage des détails piquants, qui ont encore quelque prix aux yeux de ceux qui tiennent a connaître l’état des esprits à cette époque d’agitation politique et religieuse. L’édition la plus complète et la plus estimée des Aventures du baron de Fœneste est celle de Genève, 1630, in-8".

Aventure» de Tétémaque (les), roman poétique de Fénelon ; véritable épopée par la grandeur du sujet, par la noblesse des pensées, par le charme du style ; chef-d’œuvre que toutes les langues envient à la nôtré, et qui mériterait d’être appelé poème en prose,

Odyssée d’Homère que

Fénelon a puisé son sujet ; mais il l’a enrichi de tous les trésors d’une imagination féconde, nourrie par l’étude des plus beaux ouvrages de l’antiquité. Tétémaque, fils d’Ulysse, mspire tout à la fois par l’amour filial et par celui de la patrie, s’expose aux dangers d un long voyage pour aller chercher son père, dont l’absence prolongée menace de causer de grands malheurs pour le pays lui-même et pour Pénélope, dont plusieurs prétendants se disputent la main, bien qu’on n’ait encore reçu aucune nouvelle officielle de la mort de son époux. Minerve, déguisée sous la figure de Mentor, accompagne le jeune prince et fait servir tous les accidents du voyage à son instruction. Elle veut faire de Tétémaque un digne fil3 d’Ulysse ; mais, au lieu de lui donner la sagesse tout d’un coup et comme une faveur spontanée, elle veut qu’il la désire par lé spectacle des maux dont elle est le préservatif et le remède, et qu’il la mérite par le regret sincère de ses fautes, lorsqu’il lui arrive d’en commettre. L’action s’ouvre dans l’île de Calypso, où Tétémaque est jeté par un naufrage avec Mentor. La déesse, éprise de sa jeunesse et de sa beauté, lui fait des offres séduisantes pour le retenir près d’elle, et, d’abord, elle l’engage à lui faire le récit de ses aventures. C’est donc de la bouche de Tétémaque lui-même que nous apprenons tous les événements, déjà très-nombreux. qui se sont accomplis depuis le départ d Ithaque jusqu’au naufrage où il aurait péri infailliblement sans les secours et les conseils de Mentor. Tout ce que Tétémaque a dit de lui-mêro^, la bonne grâce et l’heureuse facilité de son langage, la modestie avec laquelle il reconnaît ses fautes, n’ont fait qu’accroître la passion de Calypso ; mais Tétémaque, bien qu’il soit plein de reconnaissance pour les bontés que la déesse lui témoigne, n’éprouve point d’amour pour elle, et c’est une de ses plus jeunes nymphes, Eucharis, qui lui inspire une passion qu’on voit naître, dont on suit toutes les phases avec un intérêt croissant, et qui va faire oublier à Téiémaque tous ses devoirs, lorsque Mentor, comme un habile chirurgien qui tranche un membre pour sauver le malade, le précipite dans la mer et le force de gagner à la nage un vaisseau qu’il avait aperçu à quelque distance du rivage. Nous ne suivrons pas le jeune héros dans les différentes péripéties de son voyage, que tout le monde connaît, parce que tout le monde a lu et relu l’ouvrage de Fénelon ; nous signalerons seulement le long séjour du fils d’Ulysse auprès d’Idoménée, roi de Salente, les dangers qu’Idoménée s’est attirés

Ear son orgueil et par la fausse idée qu’il se lit de la gloire ; l’intervention de Mentor, qui saisit cette occasion pour montrer à Tétémaque comment la modération et la sagesse peuvent prévenir tous les maux d’une guerre inégale. Ici, Tétémaque se sépare déMentor ; il accompagne Nestor pour aller combattre, les Dauniens, pendant que Mentor reste avec Idoménée pour l’aider à réformer tous le3 abus qu’il avait laissés s’établir dans son gouvernement. Au camp des alliés, où il a suivi Nestor, Tétémaque rencontre Philoctête, qui lui fait le récit de ses aventures ; c’est un des plus beaux épisodes du livre. Dans les combats, Tétémaque montre le courage d’un héros ; mais son impétuosité et la fierté de son caractère lui font commettre des imprudences qu’il rachète ensuite ’par son empressement à les reconnaître et à les réparer.

L’image de son pèro Ulysse s’étant ensuité présentée à lui plusieurs fois dans ses songes, il se persuada^ qu’il devait être mort, et, pour s’en assurerait prit la résolution de l’aller chercher dans les enfers. Il sortit du camp secrètement, accompagné de deux Cretois, et se dirigea vers la caverne Achérontia, dans laquelle il ne craignit pas de s’enfoncer au travers des ténèbres. Il arrive bientôt au bord du Styx ; Caron consent à le recevoir dans sa barque, et Pluton lui-même lui permet de chercher son père. Il traverse d’abord le Tartare, où il voit les tourments qu’endurent tous les criminels : puis il entre dans les champs Élysées, où il est reconnu par son bisaïeul Arcésius, qui lui assure que son père

Ithaque, où il doit régner après lui. Revenu au camp, Tétémaque a de nouveau l’occasion de montrer sa valeur en combattant et en tuant de sa main l’impie Adraste ; Les alliés veulent partager entre eux le pays des Dauniens vaincus, et ils offrent d’en détacher le territoire d’Arpi, dont Tétémaque deviendrait roi ; mais celui-ci refuse, et les décide à reconnaître Polydamas comme roi des Dauniens, tandis que le territoire d’Arpi est donné a Diomède. Tétémaque retourne alors à Salente, où il remarque de grands changements, dont Mentor lui donne l’explication. Son cœur se laisse toucher par les charmes d’Antiope, fille d’Idoménée : Mentor approuve son inclination, mais lui fait comprendre qu’il doit d’abord songer à remplir son devoir, qui est de retourner à Ithaque. Idoménée cherche aie retenir ; Tétémaque sauve la vie à Antiope dans une chasse au sanglier, et sent redoubler l’amour qu’elle lui inspire ; cependant, il parvient à surmonter ses sentiments et il s embarque avec Mentor. Ils relâchent dans une lie, où ils rencontrent Ulysse ; Tétémaque lui parle sans le reconnaître, mais il sent un trouble secret dont Mentor lui explique ensuite la

cause. Enfin, Minerve reprend sa forme et donne ses dernières instructions au fils d’Ulysse, qui va rejoindre son père à Ithaque.

Après avoir montré ainsi le squelette de l’œuvre, il nous reste à la juger au point de vue littéraire, et nous ne pouvons mieux faire ici que de citer d’abord les paroles suivantes de M. Villemain : « Rien n’est plus beau que l’ordonnance du Tétémaque ; et l’on ne trouye pas moins de grandeur dans l’idée générale que de goût et de dextérité dans la réunion et dans le contraste des épisodes. Les chastes et modestes amours d’Antiope, introduites à la fin du poëme, corrigent d’une manière sublime les emportements de Calypso ; et l’intérêt de la passion se trouve deux fois reproduit sous l’image de la fureur et sous celle de la vertu. Mais, comme le Tétémaque et

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pies, l’ambition grande et généreuse dans Sésostris, l’ambition imprudente dans Idoménée, l’ambition tyrannique et misérable dans Pygmalion, l’ambition barbare, hypocrite, impie dans Adraste. Ce dernier caractère, supérieur au Mézence de Virgile, est tracé avec une vigueur d’imagination qu’aucune vérité historique ne saurait surpasser. Cette h

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le plus heureux, dans cette variété de portraits, c’est celui du jeune Tétémaque. Plus développé, plus agissant que le Tétémaque de l’Odyssée, il réunit tout ce qui peut surprendre, attacher, instruire. Dans 1 âge des passions, il est sous la garde de la sagesse, qui le laisse souvent faillir, parce que les fautes sont l’éducation des hommes ; il a l’orgueil du trône, l’emportement de l’héroïsme et la candeur de la première jeunesse. Ce mélange de hauteur et de naïveté, de force et di

épique ; et, sans doute, un grand maître dans l’art de peindre et de toucher, Rousseau, a senti ce charme prodigieux lorsqu’il a supposé que Tétémaque serait, aux yeux de la pudeur et de l’innocence, le modèle idéal digne d’un premier amour. De grands critiques ont souvent répété que le héros d’un poëme ou d’une tragédie ne doit pas être parfait. Ils ont admiré dans l’Achille d’Homère, dans le Renaud du Tasse, l’intérêt des fautes et des passions ; mais Us n’ont pas prévu l’intérêt non moins neuf et plus moral que présenterait un caractère qui, mélangé d’abord de toutes les faiblesses humaines, paraîtrait s’en dégager insensiblement, et se développerait en s’épurant. On blâme dans Grandisson l’uniformité de la sagesse et de la vertu, la monotonie de la perfection. Le caractère de Tétémaque offre le charme de la vertu et les vicissitudes de la faiblesse ; il n’en a pas moins de mouvement, parce qu’il tend a la perfection. Il s’anime et se perfectionne à la fois-, et l’intérêt qu’on éprouve est agité comme la lutte des passions, et doux comme le triomphe de la vertu. Sans doute Fénelon, dans cette forme donnée au caractère principal, cherchait avant tout l’instruction de son élève ; mais il créait en même temps une des conceptions les plus intéressantes et les plus neuves de l’épopée. Pour achever de saisir dans le Tétémaque, trésor des richesses antiques, la part d’invention qui appartient à l’auteur moderne, il faudrait comparer l’Enfer et l’Élysée de Fénelon avec les mêmes peintures tracées par Homère et par Virgile. Quelle que soit la sublimité du silence d’Ajax, quelle que soit la grandeur et la perfection du sixième livre de l’Enéide, on sentirait tout ce que Fénelon a créé de nouveau, ou plutôt tout ce qu’il a puisé dans les mystères chrétiens, par un art admirable ou par un souvenir involontaire. La plus grande de ces beautés inconnues à l’antiquité, c’est l’invention de douleurs et de joies purement spirituelles, substituées à la peinture faible ou bizarre de maux et de félicités physiques. C’est là que Fénelon est sublime, et saisit mieux que Dante le secours si neuf et si grand du christianisme. Rien n’est plus philosophique et plus terrible que les tortures morales qu’il place dans le cœur des coupables ; et, pour rendre ces inexprimables douleurs, son style acquiert un degré d’énergie que l’on n’attendrait pas de lui, et que l’on ne trouve dans aucun autre. Mais lorsque, délivré de ces affreuses peintures, il peut reposer sa douce et bienfaisante imagination sur la demeure des justes, alors on entend des sons que la voix humaine n’a jamais égalés, et quelque chose de céleste s’échappe de son âme, enivrée de la joie qu’elle décrit. Ces idées-là sont absolument étrangères au génie antique ; c’estl’extasedelacharitéchrétienne . religion toute d’amour, ’interprêtée

par l’âme douce et tendre de Fénelon ; c’est le pur amour donné pour récompense aux justes, dans l’Élysée mythologique. Aussi, lorsque de nos jours un écrivain célèbre a voulu retracer le paradis chrétien, il a dû sentir plus d’une fois qu’il était devancé par l’anachronisme de Fénelon ; et, malgré les efforts d’une, riche imagination et 1 emploi plus facile et plus libre des idées chrétiennes, il a été oblige de se rejeter sur des images moins heureuses, et il n’a mérité que le second rang. L’Élysée de Fénelon est une des créations du génie moderne ; nulle part la langue française ne paraît plus flexible et plus mé’o 132