Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 1, part. 2, An-Ar.djvu/183

Cette page n’a pas encore été corrigée

488

APO

sances variées et de ses profondes études sur différentes parties de la science. Gabriel Naudë a donc inscrit le nom d’Apulée dans son Apologie pour tous les grands hommes qui ont été faussement soupçonnés de magie. Considérée comme œuvre oratoire, VApologien’a. dû coûter aucuns frais d’invention à son auteur, qui se contente de reproduire les arguments de ses adversaires^ et de les réfuter ; pour la disposition, il suit aussi l’ordre adopté par ses accusateurs. Ce discours est long, mais éloquent ; Érasme dit qu’il est écrit en langue de renard. Quelques éditeurs ont divisé ce mémoire en deux parties : la première traitant de l’accusation de magie, et la seconde, des prétendues séductions employées contre Pudentilla par son futur époux. Cette division n’est point suffisamment motivée. La cause fut plaidée devant un tribunal présidé par Maximus, et Apuléesortit triomphant d’une si rudeépreuve. Il est probable qu’à cette époque Apulée n’avait pas encore composé ses Métamorphoses, à en juger du moins par le style de Y Apologie, où l’on remarque plus de naturel et de simplicité que dans les autres productions de l’auteur. Il caractérise moins sa manière, et peut paraître moins agréable et moins piquant. Néanmoins, la marche du discours est vive, et plusieurs morceaux respirent une véritable éloquence.

Apologie do Pnlomèfio, par Gorgias. Palamede était disciple de Chiron et fils de Nauplius, roi de l’île d’Eubée. Doué d’une grande pénétration, il découvrit la feinte d’Ulysse contrefaisant l’insensé, afin de ne pas aller à la guerre de Troie. Pour se venger, Ulysse imagina le stratagème suivant : il enfouit une somme d’argent dans la tente de Palamède, et contrefit une lettre de Priam qui le remerciait de sa conspiration en faveur des Troyens, et lui donnait avis de la somme qu’il lui envoyait. On fouilla la tente de Palamède, on y trouva la’ somme désignée, et Palamède, victime de cette adroite calomnie, fut lapidé. Dans la suite, les poètes et les auteurs vengèrent sa mémoire, et le prirent à l’envi pour sujet de leurs chants et de leurs discours. « Encore aujourd’hui, dit Socrate dans Xénophon, ce héros fournit matière à des chants magnifiques, bien plus qu’Ulysse, qui le fit périr victime de l’injustice. »

Dans le récit de Gorgias, c’est Palamède qui parle ; il annonce qu’il va détruire l’accusation d’Ulysse par deux moyens, et il entreprend de prouver- ; l« qu’il n’aurait pas pu trahir les Grecs quand mémo il l’aurait voulu ; 2« qu’il ne l’aurait pas voulu quand même il l’aurait pu. Il donne diirérentes preuves à l’appui de son assertion, "et, lorsque l’accusation lui paraît suffisamment détruite, il apostrophe Ulysse, le presse vivement et montre qu’il est en contradiction avec lui-même. Palamède s’efforce ensuite de prouver que, loin d’avoir causé des dommages à la Grèce, il lui a rendu au contraire d éminents services. Enjjn il termine eu déclarant à ses juges qu’il n’emploiera auprès d’eux ni prières ni accents pathétiques, et il les exhorte a ne pas rendre trop légèrement contre lui une sentence dont ils auraient peut-être à se repentir par la suite.

La division adoptée par Gorgias dans le plaidoyer de Palamède suffit à elle seule à déceler le rhéteur, habile, mais prétentieux : pensées recherchées, raisonnements subtils, style coupé pour le rendre incisif, antithèses ambitieuses et trop multipliées, voilà ce que l’on trouve le plus souvent dans cette Apologie ; mais quelquefois aussi, reconnaissons-le, des formes oratoires, des mouvements heureux, et des arguments enchaînés avec beaucoup d’art et de finesse.

Apologie do Jean Ch&tei, assassin de Henri IV, par Boucher, ligueur fanatique et écrivain pamphlétaire, recteur de l’Université de Paris, prieur de Sorbonne, curé de Saint-Benoît. La conversion de Henri IV avait porté un coup mortel à la Ligue ; mais les esprits n’étaient pas encore pacifiés. Un jeune-fanatique, Jean Chàtel, élève des jésuites, tenta d’assassiner le roi, qui ne dut la vie qu’à un hasard providentiel. Au moment même où le meurtrier levait le bras pour le frapper à la gorge, Henri IV se baissait pour relever deux gentilshommes qu’on lui présentait, de sorte que le coup l’atteignit à la lèvre supérieure et lui brisa une dent. Arrêté sur-le-champ et condamné à mort, Jean Châtel subit son supplice avec un courage digne d’une meilleure cause, et son nom figura aussitôt dans le martyrologe des ligueurs. Jean Boucher, se fit féeho du parti, en publiant l’apologie de l’assassin sous ce titre : Apologie pour Jehan Chastel, Parisien exécuté à mort, et pour les Pères et les eschotiers de la société de Jésus, bannis, du royaume de France, contre l’arrest du Parlement donné ontre eux à Paris, le 29 décembre 150-1, divisé

'■ cinq partie

Constantin.

Elle débute i

livré entre les

estait en la ch ;

Par François de Vér<

> L’an 1594 que Paris fut

s de Henry de Bourbon,

son retour de Picardie

de la dame de Liencourt,

favorite, dicte vulgairement la Gabrielle, le 27 de décembre, Jehan Chaste !, Parisien, âgé de dix-neuf ans, emeu de zèle de religion et de justice, se coule dedarfls ; et, d’un Cousteau qu’il avoit, pensant lui donner dans la gorge, le, frappe en la bouche, environ les sept heures du soir, et lui rompt une dent.. On y trouve un sonnet se terminant par ce triolet :

APO

Heureux qui, pour sauver la France catholique, Renversera d’un coup tout ce règne hérétique, . Et, luy brisant la teste, en brisera le corps.

Sentiments qui donnent une idée du reste de ■" l’ouvrage.

Le style de ce pamphlet, dont on a fort exagéré l’importance littéraire, est boursouflé, fatigant, et le fatras d’érudition déployée par le fanatique prieur de Sorbonne n’est pas fait pour rendre cette lecture plus attrayante.

Apologie pour Hérodote, par Henri Estienne, ouvrage qui parut d’abord sous le titre ([’Introduction au traité de la conformité des merveilles anciennes avec les modernes. L’auteur venait d’imprimer à grands frais l’Histoire d’Hérodote, que des curieux décrièrent partout, en disant qu’elle était remplie de fables et de contes à dormir debout. Henri Estienne, pour prévenir l’effet d’une telle accusation, entreprit de se justifier en publiant VApologie. Dans une épître préliminaire adressée à un sien ami, l’auteur expose ses raisons et son but. Il avait publié d’abord une édition corrigée d’Hérodote traduit par Laurent Valla3 et l’avait fait précéder d’une première Apologie en latin. On lui demanda une traduction en français. Il se mit à l’œuvre, mais il abandonna cette tâche, et entreprit un travail beaucoup plus étendu : « En né voulant que costoyer le rivage, ie me trouvay incontinent porté en pleine mer. ■ Il est persuadé que la lecture de son nouvel ouvrage a apprendra à parler avec plus grand respect des historiographes anciens. » La reconnaissance lui a fait un devoir de servir d’avocat à Hérodote contre ceux qui l’accusent d’avoir espargné la

■ Cette Apologie n’est pas seulement une œuvre de critique historique, mais encore de critique "morale et de controverse religieuse. Sous prétexte de défendre contre les sceptiques de son temps les récits et les histoires invraisemblables qu’Hérodote nous a transmis, H. Estienne fait le procès aux dérèglements, aux superstitions et aux préjugés de son siècle, dont il compare les actions plus ou moins étranges ■ et déraisonnables avec les faits merveilleux de l’antiquité ; il n’épargne au clergé catholique et à la cour de Rome ni les observations méprisantes, ni les citations de nature à compromettre l’autorité de l’Église romaine. Certains chapitres sont de véritables réquisitoires contre les mœurs du xvic siècle, qu’il proclame plus dépravé que le précédent. La peinture énergique de ces mœurs, en termes quelquefois peu retenus, les traits satiriques et les anecdotes semés dans ce livre excitèrent vivement la curiosité pub’ique, et douze éditions furent promptement épuisées. Mais ce succès >ne fit qu’augmenter l’acharnement des ennemis de l’auteur ; on a

même prétendu que pour cette œuvre il fut , brûlé en effigie a. Paris. Pour échapper à la réalité du supplice, il se serait alors enfui en Auvergne pendant un hiver des plus rigoureux, et c’est lui qui aurait dit ce mot connu et si piquant : « Je n’eus jamais si froid que lorsqu’on me brûlait à Paris. »

Apologlp pour l’Église d’Angleterre, par

Jewell, évêque et théologien anglais du xvie siècle. C’est un petit traité de controverse religieuse, écrit en latin. Il a joui d’une certaine célébrité. Jewell était doué d’une mémoire prodigieuse et avait une lecture immense ; son érudition le plaçait au premier rang parmi les théologiens du règne d’Elisabeth. Son Apologie est écrite avec vigueur ; l’argumentation en est serrée, les preuves bien enchaînées, les autorités bien choisies ; enfin le style a une clarté assez rare dans les livres de discussions théologiques. Jewel composa aussi une Défense de l’Apologie. Ce dernier ouvrage, écrit en anglais ; est beaucoup plus diffus, mais il se recommande par l’érudition. Le sujet principal de la Défense s’agite entre Jewell et le jésuite Harding.

Anologlo de lîoiiuond Sebondo, titre d’un des chapitres les plus importants des Essais de Montaigne. C’est là qu’il met le plus à nu ce doute, ce scepticisme qui se laisse deviner plutôt qu’il ne se montre dans chacune des pages de son livre. L’auteur suppose que Pierre Biinel, < homme de grande réputation de sçavoircn son temps, ayant à rester quelques jours h Montaigne, en la compagnie de mon père, avecqués d’aultres hommes de sa sorte, luy feit présent, "nu desloger, d’un livre qui s’intitle la Théologie naturelle de Raimond Sebonde. d Tel est l’adroit subterfuge qu’emploie Montaigne pour < se moquer tout doucement des catholiques, » comme dit Bayle d : ms son Dictionnaire. Mais laissons lu parole à M. Prévost-Paradol, qui vient de publier sur ce chapitre célèbre une étude des plus remarquables, dont l’analyse ne pourrait être qu’un pâle reflet :

« Le doute est épanché partout dans les Essais ; on n’y trouve guère, on y regardant de près, une seule page qui n’en soit imprégnée ; mais s’il est répandu parto«t, il est en même temps concentré quelque part, et, en remontant le cours capricieux de tous ces ruisseaux, ’ un arrive au grand lac d’nu ils découlent. L’Apologie de lîaimond Sebonde, placée au centre des Essais, n’en est rien moins que le cœur ; c’est de là que part ce fiot puissant qui se divise en millerameaux, pour porter jusqu’au* extrémités du tissu vivant des Estait la même sève et la même pensée. Chacun de ces chapitres si variés n’est qu’une

APO

conclusion dont ce chapitre capital contient les prémisses ; chacun d eux exprime un doute particulier, lui seul contient toutes les raisons de douter, et les énumère avec une hauteur, une force et un éclat qui mettent ces pages entraînantes au premier rang parmi les efforts que l’homme ait jamais tentés, pour arracher de son âme le penchant à croire et pour en exiler la certitude.

■ Le plus léger détour a’ paru suffisant à Montaigne pour donner une apparence légitime et même religieuse à la guerre sans merci entreprise dans ce chapitre contre l’orgueil humain trop confiant dans la raison humaine. H veut simplement, à l’entendre, confondre ceux qui trouvent faibles et insuffisantes les raisons alléguées par Raimohd Sebond en faveur de la vérité des croyances chrétiennes. Vous trouvez ses raisons faibles, dit-il ; voyons donc les vôtres. Sur quoi vous appuyez-vous pour juger les siennes ? Quelle force attribuezvous à vos arguments ? Comment établissezvous que vous êtes capable d’arriver à la certitude ?

« La guerre ainsi portée dans le camp ennemi, sous le prétexte d’une défense légitime, Montaigne se sent libre de tout dire, d’enlever à la raison, s’il le peut, ses armes chétives, et dfe renverser le superbe et fragile édifice de nos connaissances. Il commence donc, comme tous ceux qui veulent arracher violemment notre esprit à ses habitudes et élargir ’ l’horizon de notre pensée, comme Pascal le fera unjour à son exemple dans une intention bien différente et avec plus de grandeur, il commence par nous forcer à regarder le ciel tel qu’il est et par nous accabler d’un seul mot sous l’immensité de la nature. Quand il nous a ainsi jetés à bas de notre trône imaginai^ et tirés de notre petit empire pouf nous lancer et nous perdre dans la poussière1 infinie do l’univers, quand il nous a demandé ironiquement qui nous a donné le droit de Croire faits pour notre usage et de prendre à notre service ■ le bransle admirable de la voulte ■ céleste et la lumière éternelle de ces flambeaux roulant si fièrement sur nos testes, • il nous met en face d’un autre mystère, et cherche à rabattre en nous cette présomption qui nous porte à nous mettre dédaigneusement a part des autres êtres répandus sur notre planète, comme si nous étions non-seulement supérieurs à eux, mais d’un autre ordre. Qu’en savons-nous cependant ? Qui a pénétré le mystère de ces humbles existences, les pensées qui s’agitent dans ces intelligences endormies, les limites assignées à l’instinct, la nature de cet instinct lui-même, "mot commode pour rabaisser au gré de notre orgueil des merveilles de prévoyance, d’activité, de dévouement et de courage ? Avec quelle audace nous nous transportons ainsi hors de nous-mêmes pour juger de leur vie intérieure et en donner l’exacte mesure ! « Quand je me joue à ma « chatte, qui sçait si elle passe son temps de « moy plus que je ne fais d’elle I > Montaigne veut donc nous ramener et nous joindre à cette foule, sans même nous permettre de nous en distinguer par notre faiblesséparticulière à notre naissance ou par certaines misères que les animaux ne connaissent pas, car ce n’est qu’un nouveau détour de notre orgueil et qu’un effort ingénieux de notre vanité pour nous entourer d’un certain mystère, et nous assurer mieux cette place à part que nous revendiquons-obstinément au sein de la nature. Il

n’est pas vrai, nous dit Montaigne, que l’homme naisse plus nu, plus désarmé, plus incapable de se suffire que les autres êtres ; et, d’ailleurs, en supposant toutes ces différences et toutes ces lacunes, ce mouvement qui nous pousse à y porter remède, nos inventions, nos arts, nos efforts pour vivre et pour mieux vivre ne sont-ils pas aussi des dons de la nature ? ces instincts salutaires ne rétabliraient-ils pas l’équilibre, et ne nous ramèneraient-ils pas par un détour à la condition commune : celle d’une existence difficile et contrariée par les forces du dehors, mais ayant en elle-même le moyen de se suffire.et de durer ?

« Mais nous avons, dit-on, nos privilèges, des occupations et des pensées auxquelles nui autre être que l’homme ne peut prétendre et qui font notre grandeur. Voyons-les donc ; serrons de plus près ces facultés particulières et admirables ; détachons et pesons tous ces diamants de notre couronne ; voyons si l’éclat n’en est pas faux, et s’il est bien difficile de les réduire en poussière. Est-ce la guerre qui justifie notre orgueil ? C’est, en effet, la plus grande et la plus pompeuse des actions humaines ; mais s’il y a de la gloire à s’entredétruire, cette glorieuse fureur n’est point particulière à l’homme, et dènx essaims, se disputant une ruche, combattent aussi vaillamment que deux armées. Les taureaux

savent aussi bien que nous lutter et mourir pour un pâturage ou pour une génisse. Nos motifs, dit-on, sont plus nobles. En vérité 1 Allez au fond de toute guerre, et voyez de près ce qui fait couler le sang des hommes ; combien de causes plus misérables, plus injustifiables que la possession d’une ruche ou d’un pré leur mettent les armes à la main, et les décident à se chasser les uns les autres du champ de l’existence I Nous pouvons davantage pour nous nuire, mais la volonté qui nous pousse à employer ces moyens terribles n’en est point pour cela plus élevée ni plus respectable. Nous voulons nous agrandir, tout absorber en nous, confondre les limites de notre

APO

être avec celles mêmes du monde ; ainsi te veut toute créature vivante, et de là vient que toutes s’entre-choquent et se détruisent. Pareils appétits agitent un ciron, un éléphant, un puissant monarque. Mais pourquoi être si fiers de sentir en nous comme tout ce qui existe, et de traduire à notre manière cette secrète impulsion de la nature qui, dans chacune de ses créations, tend avec excès à la vie, et qui se limite et se contient elle-même par la mort ? « Si la guerre n’est point faite pour enfler notre orgueil, est-ce donc la science qui le justifie ? De quel usage, de quel prix est pourtant la science, à moins qu’elle ne serve à nous révéler notre ignorance et notre faiblesse, et à nous rendre plus humbles à mesure que nous savons davantage, comme on voit les épis les plus chargés de blé s’incliner le plus bas vers la terre ? Qu’est-ce que la science vue de près, sinon un amas d’incertitudes ? Savons-nous si cette exaltation même de notre esprit, que nous croyons féconde, n’est pas une maladie, une affliction et une déception de la nature ? Quelle imperceptible différence « entre la folie et les gaillardes eslevations ■ d’un esprit libre I » La philosophie est le plus sublime effort de la science humaine, mais que produit cet effort ? Un vain conflit d’opinions également incertaines, une lutte bruyante et stérile, un « tintamarre de cervelles », des imaginations qu’on cherche à transformer en raisonnements, mais qui n’ont pas plus de corps que de base. C’est une poésie sophistiquée, et rien de plus. Elle peut servir d’amusement à l’esprit, d’occupation à la vie, nous distraire de nos maux par une recherche

tion et folie que d’en espérer davantage. Quant aux religions (sauf une seule, que Montaigne laisse de côté plutôt qu’il ne la met à part), , n’est-ce pas le plus vaste champ ouvert à la folie humaine ? n’est-ce pas là qu’elle s’est donné carrière avec le plus de complaisance ? Il y a un trait commun entre tous les produits, si divers qu’ils soient, de ce grand délire : c’est notre penchant à tailler Dieu sur notre mesure, à nous considérer nous-mêmes comme le centre du monde, comme l’objet de toute cette action, de tout ce mouvement, de tout cet ordre, à nous adorer enfin nous-mêmes dans notre image agrandie, embellie et placée de nos propres mains au faite de ce vaste univers. Ce résultat uniforme des religions indique assez clairement qu’elles ne sortent que de notre ignorance et de notre orgueil, et Qu’avec des prétentions plus imposantes que la philosophie, elles ne nous en apprennent pas davantage sur le monde et sur nous-mêmes. Elles ne rompent donc pas plus que la philosophie l’effrayant tète-a-tête dans lequel nous sommes enfermés avec notre propre intelligence ; elles nous montrent seulement à l’œuvre, dans la région des chimères, « cet égoïsme de la pensée et cet instinct envahisseur que nous portons dans les affaires réelles de la vie, et qui nous sont à divers degrés communs avec toutes les créatures. N’est-ce pas de ce même égoïsme qui repousse toute limite dans la durée, et qui veut survivre à la destruction même du corps, que nous viennent tant de théories sur l’immortalité, tant de visions sur un autre séjour conforme en tout point à nos désirs, arrangé tout exprès pour l’accomplissement de nos vœux, propice a une sorte de dilatation infinie de notre être ? Somma non docentis, sed optantis, comme disait un ancien, qui retrouvait aussi la source de cette croyance à l’immortalité-dans l’âme elle-même, avide de vivre et quêtant partout des consolations et des espérances.

« Quoi d’étonnant d’ailleurs si la science, la philosophie, les religions ne peuvent rien atteindre de certain ni de solide, puisque nos opinions elles-mêmes sont soumises à un continuel changement et au rapide mouvement de tout ce qui nous entoure ? Je n’ai pas pensé hier ce que je pense aujourd’hui ; ma pensée de demain sera autre chose i ’ :-

esprit es

pensées qui ronge et renouvelle le lit et les rives de ce fleuve invisible, comme le flot de matière qui traverse incessamment mon corps le dévore et le renouvelle. Même instabilité, même changement dans les opinions générales que dans nos croyances particulières ; c’est que le même courant qui m’emporte emporte le monde, et qu’il lui est aussi impossible qu’à moi de prendre pied et de s’arrêter à quelque certitude. Notre intelligence et les choses, ce qui voit et ce qui est vu, ce qui juge et ce qui est jugé, n’ont rien de stable, tout s’écoule comme un torrent, et nous prétendrions attacher quelque valeur durable à nos impressions d’un jour 1 Voyons-nous, déplus, les choses telles qu’elles sont ? Qui l’oserait dire ? Un sens de moins, et voilà un autre univers. Un aveugle né, un sourd, auront-ils jamais l’idée du son ou de la couleur ? Si un sens de moins nous fait un autre monde, qui peut dire qu’un sens de plus ne bouleverserait pas toutes nos connaissances ? La prétendue vérité de nos cinq sens serait-elle la vérité de six sens ou de huit ? Enfin, supposons ce miracle que nous puissions voir avec clarté, et d’une manière uniforme, tout ce qui nous entoure ; que nous. soyons d’accord sur toute chose avec nous-mêmes et avec les autres, avec nos descendants et avec nos ancêtres ; qu’au lieu de cette mer vaste, trouble et ondoyante des opinions