Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 1, part. 1, A-Am.djvu/95

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Abbaye en règle, Celle à laquelle on ne pouvait nommer pour abbé qu’un religieux. || Abbaye en commende, Celle à laquelle on pouvait nommer un ecclésiastique séculier. || Abbaye royale, Celle qui était fondée ou dotée par un roi. || Abbaye mère, Abbaye qui avait donné naissance à plusieurs monastères du même ordre. On l’appelait aussi abbaye chef d’ordre. || Abbaye élective, Abbaye qui avait le droit de nommer son supérieur.

— Fig. Séjour où l’on jouit d’un doux repos au sein d’une société choisie : Je devais bien cet adieu à la belle Diane et à l’aimable abbaye. (Mme  de Sév.) J’ai été bien consolé quand vous m’avez appris que vous viendriez passer quelque temps dans votre ancien ermitage, et accepter une cellule dans l’abbaye de Ferney. (Volt.)

Être de l’abbaye de quelqu’un, Être de sa société, || Souliers de cuir d’abbaye, Souliers très-doux.

— Prov. Pour un moine l’abbaye ne faut, ne chôme, ne manque pas, L’absence d’une personne ne doit pas empêcher une affaire de se conclure, une partie de plaisir d’avoir lieu.

Abbaye de Monte-à-regret. Argot. Jadis la potence, aujourd’hui la guillotine. Il serait superflu d’expliquer les mots monte à regret. Le mot abbaye vient de ce qu’un ou plusieurs prêtres accompagnent toujours le condamné. Une des rues de la ville de Sens, qui conduit à la place où se font les exécutions capitales, s’appelait dernièrement encore rue de Monte-à-Regret. || Autrefois, le mot abbaye entrait aussi dans une périphrase facétieuse du vocabulaire de nos pères : une femme de mœurs faciles était dite de l’abbaye de S’offre-à-tous.

Littérat. Abbaye de Thélème. Endroit où tout est en abondance, et où la vie est remplie de toutes les jouissances matérielles : La Touraine est la véritable abbaye de Thélème, si vantée dans le livre de Gargantua. (Balz.) || C’est une allusion à l’une des plus charmantes créations de Rabelais. V. Thélème.

Encycl. Hist. C’est en Orient qu’est née la vie monastique ; elle ne s’introduisit en Occident que vers le commencement du ve siècle. Dans l’origine, moines et abbés étaient laïques ; plus tard ils appartinrent au clergé. Il faut distinguer les abbayes des simples monastères. Lorsque le goût de la vie monastique eut donné naissance à des ordres nombreux, le nom d’abbé, d’abord réservé au supérieur de chaque monastère, fut appliqué tantôt au général, tantôt au chef des fractions importantes de l’ordre, et le nom d’abbaye désigna les monastères les plus riches et les plus importants. Au commencement les abbés étaient élus dans toutes les abbayes par les moines assemblés en chapitre ; plus tard, les rois eurent le droit de nomination dans un grand nombre d’abbayes : de là la distinction des abbayes en règle et des abbayes en commende. Les premières étaient celles qui avaient conservé leur droit d’élection, les secondes celles où le roi conférait avec le titre d’abbé les privilèges attachés à ce titre. Les abbés réguliers, tous prêtres, étaient à la tête du temporel comme du spirituel des couvents. Les abbés commendataires étaient des laïques tonsurés, qui devaient recevoir les ordres dans l’année. Comme cette clause n’était jamais exécutée, ils n’exerçaient pas le pouvoir spirituel, lequel était délégué à un religieux appelé Prieur claustral. On comprend que les abbayes en commende offraient aux rois une source de revenus dont ils pouvaient disposer, dont ils disposèrent le plus souvent soit comme récompense, soit comme faveur. Des personnages de la plus haute naissance étaient abbés commendataires, et la plus haute noblesse de France sollicita souvent des abbayes en commende pour ses cadets. L’Église condamnait les abbayes en commende ; mais le pouvoir temporel l’emporta en France, et, en 1516, le concordat entre Léon X et François Ier accorda au roi la nomination à toutes les abbayes françaises, sauf à celles de Cluny, Cîteaux, Prémontré, et quelques autres. (C’est principalement à ces abbés de commende que se rapportent toutes ces anecdotes grivoises qui émaillent les ana du xviiie siècle.)

Parmi les abbayes qui occupent un rang dans l’histoire, il convient de citer celles de Cluny, de Cîteaux et de Prémontré en France, de Fulde et de Corvey en Allemagne, de St-Gall en Suisse, du Mont-Cassin en Italie, et de Westminster en Angleterre. La plus ancienne abbaye de femmes en France était celle de Ste-Radegonde, à Poitiers, fondée en 567.

Les abbayes ont rendu de grands services à l’agriculture, aux sciences et aux lettres. On doit constater et admirer avec M. de Montalembert « la mise en culture par leurs mains de tant de déserts et de tant de forêts, la transcription et la conservation de tant de monuments historiques. » Celles des bénédictins surtout furent de grands foyers littéraires. V. Bénédictins.

Syn. Abbaye, couvent, monastère. L’abbaye ou le monastère est une communauté plus riche et d’un ordre plus élevé que le couvent ; le nombre des religieux y est bien plus considérable. Abbaye diffère de monastère, surtout parce qu’il fait penser au titre d’abbé ou d’abbesse donné au chef de l’établissement, et comme ce titre est le plus élevé de tous dans la hiérarchie monastique, l’abbaye a souvent plus d’importance encore que le monastère. Un couvent est dirigé par un supérieur ou un prieur ; un couvent de femmes par une supérieure ou une prieure. Dans le langage ordinaire, couvent se dit de toutes les communautés en général, surtout des communautés de femmes.

Abbaye-au-Bois (L’), communauté religieuse de femmes, située à Paris, rue de Sèvres, à l’angle de la rue de la Chaise. Elle servit de maison d’arrêt pendant la Révolution ; rendue plus tard à sa destination première, elle offrit, en dehors du cloître réservé aux religieuses, un asile paisible à des dames du grand monde, qui se retiraient là pour goûter les douceurs de la solitude, sans renoncer toutefois à celles de la société. C’est à l’Abbaye-au-Bois que Mme  Récamier vint s’établir au commencement de la Restauration, après la ruine de son mari et la mort de Mme  de Staël, son amie, et c’est de ce séjour que l’Abbaye tire en partie sa célébrité. Toutes les illustrations de l’époque briguaient la faveur d’être reçues dans les salons de Mme  Récamier, où Chateaubriand régnait en souverain. Il se rendait régulièrement à l’Abbaye tous les jours à trois heures, et pendant la première heure de ses entretiens avec Mme  Récamier, il ne souffrait pas de tiers ; mais, cette première heure écoulée, on ouvrait la porte du salon, et les plus intimes y pénétraient. Parmi les privilégiés admis le plus familièrement dans le sanctuaire, il faut citer le duc Mathieu de Montmorency, Ballanche, le duc Hamilton, la reine Désirée de Suède, Eugène Delacroix, David (d’Angers), Alex. de Humboldt, Augustin Thierry, Salvandy, Villemain, Ste-Beuve, Ampère, le duc de Noailles, Alexis de Tocqueville, etc. Béranger y vint une seule fois, et le prince Louis Bonaparte, aujourd’hui Napoléon III, s’y présenta aussi à son retour en France, en 1848. C’est à l’Abbaye que Lamartine lut ses premières Méditations, que Victor Hugo, à peine sorti des bancs de l’école, fut sacré poëte de génie par les mains de Chateaubriand lui-même, et que toutes les grandes renommées naissantes reçurent leur baptême et leur consécration. Si l’on fait abstraction de la politique, c’était une sorte d’hôtel de Rambouillet du xixe siècle, dont la belle et spirituelle Mme  Récamier était la Julie.

Abbaye (Prison de l’). Elle fut construite à Paris en 1522 pour servir de prison seigneuriale à l’abbaye de St-Germain-des-Prés, et convertie dans la suite en maison de détention militaire. Les gardes françaises qui avaient refusé de tirer sur le peuple, le 23 juin 1789, y furent renfermés, mais bientôt délivrés par la foule. Depuis, cette maison fut affectée aux prisonniers politiques. De là ce cri qui a souvent retenti dans nos clubs révolutionnaires : À l’Abbaye ! C’est là que commencèrent les massacres de sept. L’Abbaye, redevenue une prison militaire, a été démolie en 1854.

ABBÉ s. m. (a-bé — du lat. abbas, dérivé du syriaq. abba, père). Chef d’un monastère d’hommes qui a le titre d’abbaye : Un abbé de l’ordre de Saint-Benoit. Le titre d’abbé, qui signifie père, n’appartenait qu’aux chefs de monastères. (Volt.) Les anciens moines donnèrent ce nom au supérieur qu’ils élisaient. L’abbé était leur père spirituel. (Volt.) Ni les abbés ni les moines ne furent prêtres dans les premiers siècles. (Volt.) Messieurs, dit le bon père, soyez les bienvenus ; notre révérend abbé sera bien content quand il saura que vous êtes arrivés. (Brill.-Sav.)

— Par ext. Tout homme qui porte l’habit ecclésiastique : Un jeune abbé. Il pleut des abbés et dès qu’un petit cuistre est habillé de noir, on l’appelle monsieur l’abbé. (Richelet.) Théonas, abbé depuis trente ans, se lassait de l’être. (La Bruy.) Si vous n’êtes monsieur l’abbé que pour avoir été tonsuré, pour porter un petit collet, un manteau court, et pour attendre un bénéfice simple, vous ne méritez pas le nom d’abbé. (Volt.) Quoi ! tu donnes dans les abbés, ma bonne, toi qui ne pouvais les souffrir ! (Dancourt.)

C’est un homme qui porte un fort petit collet,
Avec un habit noir ; enfin, c’est, ce me semble,
Quelque façon d’abbé ; du moins il leur ressemble.
Montfleury.

Abbé régulier, Supérieur de religieux, qui était régulier lui-même, et portait l’habit de son ordre. — On l’appelait aussi abbé titulaire. || Abbé chef d’ordre, ou simplement chef d’ordre, Supérieur d’une abbaye chef d’ordre, comme à Cluny, Cîteaux, etc. || Abbé perpétuel, Abbé nommé à vie. || Abbé particulier, Celui qui n’a aucune abbaye inférieure subordonnée à la sienne. || Abbé en second, Prieur d’un monastère. || Abbé commendataire, Laïque qui tenait une abbaye en commende. — On le désignait aussi sous le nom d’abbé laïque. || Abbé putatif, Celui qui portait le titre d’une abbaye sans en toucher le revenu. || Abbé in partibus, Celui dont le monastère avait été détruit ou était occupé par les infidèles. || Abbé de régime, Prieur claustral ou sous-supérieur, dans certaines congrégations. || Abbé mitré, Abbé qui avait le droit de porter la mitre. || Abbé crossé, Abbé qui avait le droit de porter la crosse. || Abbé crossé et mitré, Celui qui avait une autorité pleinement épiscopale, et qui, comme les évêques, portait la crosse et la mitre. — On les appelait, en Angleterre, abbés souverains, abbés généraux, et ils étaient membres du parlement. || Abbé des abbés, Titre qu’on donnait à l’abbé du Mont-Cassin, parce que tous les moines de l’Occident avaient reçu leur règle de cette abbaye. — Le supérieur de l’abbaye de Marmoutier portait aussi le même titre. || Abbé cardinal, Titre honorifique accordé par le pape. — Il se disait particulièrement des abbés en chef, lorsque des abbayes qui avaient été réunies venaient à être séparées. — L’abbé de Cluny prit aussi ce titre, en plein concile, à Rome. || Abbé-chevalier, Abbé chargé de défendre une abbaye. — On donnait aussi ce nom à celui qui réunissait le titre de chevalier à celui d’abbé. || Abbé coadjuteur, Celui qui était adjoint à un abbé pour l’aider à remplir ses fonctions, et qui lui succédait ordinairement après sa mort. || Abbé de cour, abbé courtisan, Abbé qui fréquentait plutôt la cour que l’église. || Abbé de fortune, Abbé de basse naissance. || Abbé de l’oratoire du palais ou du sacré palais, Un des titres que portait l’archi-chapelain de la cour, sous nos anciens rois || Abbé de ruelle, abbé de salon, abbé petit-maître, Ces abbés, qui n’étaient pas même dans les ordres, se faisaient remarquer par leur conduite légère. — Il en était de même des abbés galants du xviiie siècle, tels que l’abbé de Chaulieu. || Abbé de Sainte-Elpide ou de Sainte-Espérance, Se disait proverbialement d’un homme qui prenait la qualité d’abbé, sans en avoir le titre. || Abbé in minoribus, Abbé qui n’est encore que dans les ordres mineurs. || Abbé œcuménique ou universel. Titre que plusieurs moines grecs ont pris, à l’imitation du patriarche de Constantinople. || Abbé-évêque, Abbé qui est en même temps évêque. || Abbé exempt, Abbé qui ne relevait que du saint-siège. || Abbé général, Ce titre a été porté par le supérieur des Mékitaristes et par ceux de Cîteaux et de Cluny. — C’est aussi le nom que l’on donnait, en Angleterre, aux abbés mitrés et crossés.

— Hist. Abbé du peuple, Magistrat populaire qui fut créé à Gènes en 1270, et auquel on accorda toutes sortes d’honneurs, sans lui déférer de pouvoir. Cette dignité fut abolie en 1339, et remplacée par le dogat. || Abbé de Liesse, Chef d’une confrérie établie à Lille. Nommé par les juges, les magistrats et le peuple, il recevait une crosse d’argent doré, du poids de quatre onces, qu’il portait suspendue à son bonnet. Il était accompagné d’officiers et entre autres d’un maître d’hôtel et d’un héraut ; on portait devant lui un étendard de soie rouge, et il présidait aux jeux qui se célébraient à Arras et dans les villes voisines à l’époque du carnaval. (Chéruel.) || Abbé des béjaunes. Chef de la confrérie des étudiants novices : Les jeunes gens, nouvellement arrivés dans l’Université de Paris formaient une confrérie particulière, et avaient pour chef l’abbé des béjaunes. (Chéruel.) Le jour des Innocents, l’abbé des béjaunes, monté sur un âne, conduisait sa confrérie par toute la ville. (Chéruel.)

— Loc. prov. Pas d’abbé, Allure grave. || Table d’abbé, Table somptueuse. || Face d’abbé, Visage rubicond.

Abbé. Jeu dans lequel celui qui le conduit, appelé abbé, est imité, dans chacun de ses actes, par les autres joueurs qui l’ont nommé.

— S’empl. adjectiv. : Père abbé.

— Fig. Nous sommes ici trois ou quatre étrangers comme des moines dans une abbaye. Dieu veuille que le père abbé se contente de se moquer de nous ! (Volt.)

— Prov. et fig. Pour un moine, on ne laisse pas de faire un abbé, Si un homme manque à une assemblée, à une partie de plaisir où il devait se trouver, on ne laisse pas de délibérer, de s’amuser sans lui, de faire, en son absence, ce qu’on avait résolu. || Nous l’attendrons comme les moines font l’abbé, S’il n’arrive pas à l’heure de dîner, nous nous mettrons à table sans lui. || Le moine répond comme l’abbé chante, Les inférieurs ont l’habitude de prendre le ton et les habitudes de leur supérieur. || Se promettre la vigne de l’abbé, Se disait proverbialement pour Se promettre une vie de délices, parce que les meilleurs crus étaient devenus partout la propriété des monastères. || Être comme l’abbé Rognonet, qui de sa soutane ne put faire un bonnet, Ne savoir tirer aucun parti d’une position avantageuse, et gâter la meilleure affaire par sa maladresse. — On dit de même : Tailler sa besogne sur le patron de Rognonet. || Il n’y a point de plus sage abbé que celui qui a été moine. L’homme qui a obéi est celui qui sait le mieux commander. || Monsieur l’abbé, vous faites l’enfant. Locution proverbiale qui s’applique, dans le langage familier à ceux qui se font prier pour faire ce qu’on leur demande. — Ce proverbe doit sa naissance au bourreau qui exécuta l’abbé Fleur, condamné à être pendu comme contrefacteur de billets de loterie ; le patient ayant peine à se déterminer à gravir l’échelle, l’exécuteur se permit de lui dire : Allons donc, monsieur l’abbé, vous faites l’enfant.

— Le titre d’abbé se trouve souvent joint d’une manière accidentelle à un grand nombre de dénominations. En voici des exemples : Abbé gentilhomme. Abbé ingénieur. Abbé journaliste. Abbé médecin. Abbé mousquetaire. Abbé poëte. Abbé traducteur. Raynal, cet abbé philosophe.

Encycl. Hist. On a vu qu’outre les abbés réguliers et commendataires (V. Abbaye), il y avait encore des abbés mitrés, c’est-à-dire qui possédaient le privilège de porter la mitre ; d’autres portaient la crosse ou bâton pastoral et s’appelaient abbés crossés. Ainsi, grâce à leur richesse et à leur puissance, certains abbés en étaient venus à marcher de pair avec les évêques ; ils avaient le droit de suffrage dans les conciles, conféraient la tonsure et les ordres mineurs, etc. Avant la révolution de 1789, on donnait le nom de petits abbés ou d’abbés au petit collet à une foule de gens qui n’avaient d’ecclésiastique que l’extérieur. C’étaient le plus souvent des cadets de familles nobles et pauvres, quelquefois aussi de riches roturiers, aspirant les uns et les autres au titre lucratif d’abbés commendataires. Aujourd’hui, le titre d’abbé se donne à tout ecclésiastique. Les abbés et abbesses, supérieurs et supérieures de monastères, formaient un tribunal de première instance. Ils pouvaient imposer des pénitences à ceux de leurs religieux ou à celles de leurs religieuses qui venaient à manquer à la discipline claustrale. Toutefois leur juridiction ne s’étendait pas aux délits ou scandales commis hors du cloître.

Anecdotes. Un abbé de qualité, disant la messe — c’était peut-être le fameux évêque de Noyon —, entendit parler derrière lui. L’abbé se retournant : « En vérité, messieurs, dit-il, quand ce serait un laquais qui officierait, vous n’auriez pas moins de respect. »

Le célèbre abbé Prévost, auteur de Manon Lescaut, fut nommé aumônier du prince de Condé. « Monsieur l’abbé, lui dit le prince, vous voulez être mon aumônier, mais je n’entends pas de messe. — Et moi, monseigneur, je n’en dis jamais. »

À la représentation d’une tragédie, un abbé avait pris une place aux premiers rangs. Le parterre, de mauvaise humeur, cria : À bas M. l’abbé ! Celui-ci, sans se déconcerter, se leva, et s’adressant au parterre : « Messieurs, dit-il, depuis qu’on m’a volé une montre d’or en votre compagnie, j’aime mieux qu’il m’en coûte une place aux loges que de risquer encore ma tabatière. » On applaudit et on le laissa tranquille.

L’abbé de Voisenon disait exactement son bréviaire, dont il marquait les renvois avec des couplets de chansons.

Dans un chapitre de province, un jeune abbé se déguisa le soir et s’en alla au bal. Grand scandale parmi les chanoines, qui délibérèrent sur la peine qu’il fallait infliger au coupable. Après de longs débats, on s’en remit à la décision du doyen. « Messieurs, dit celui-ci, passons-lui ses petites escapades ; il s’en lassera tout comme nous. »

À la première représentation du Brutus de Voltaire, un abbé, placé sur le devant d’une loge, se vit apostrophé par le parterre qui criait : À bas la calotte ! L’abbé, impatienté de ces clameurs, prit sa calotte et dit, en la jetant : « Tiens, parterre, la voilà, tu la mérites bien. »

Abbé (L’), roman de Walter-Scott, dont le sujet est l’évasion de Marie Stuart du château de Lochleven. L’abbé Ambroise, qui donne son nom au roman, ne joue qu’un rôle secondaire dans l’action ; le véritable héros est Roland Græme, orphelin recueilli et élevé par la reine d’Écosse. L’auteur revient ici à l’histoire de ce pays vers la fin du xvie siècle. Il représente non plus la lutte politique de deux races rivales et hostiles, mais le choc non moins opiniâtre de deux croyances religieuses, animées du même fanatisme, tour à tour persécutées et intolérantes. Il décrit la réaction presbytérienne contre le catholicisme sous la minorité orageuse de Jacques Ier, et il a tiré un merveilleux parti de toutes les ressources que lui offrait un pareil sujet, quoiqu’il ne se pique pas d’une grande exactitude historique, et qu’il subordonne ordinairement la réalité à l’effet dramatique de ses tableaux. Mais le romancier a su reproduire avec beaucoup d’habileté le mélange de courage et de faiblesse, de fierté et de coquetterie, et surtout cet incorrigible penchant à l’épigramme, qui forment un des traits saillants du caractère de Marie Stuart. Nulle part aussi l’abaissement où était tombé le clergé catholique n’a été retracé avec plus de vigueur et d’énergie. Parmi les scènes principales du roman, nous citerons surtout l’abdication de Marie Stuart, la tentative infructueuse d’évasion, le délire soudain de la reine, sa fuite du château de Lochleven et la description de la bataille de Langside. Toutefois, les caractères, excepté celui de la reine, sont moins habilement tracés que dans quelques autres productions de l’auteur ; le héros, quoique naturellement impétueux, est un jeune homme faible, irrésolu et capricieux. De plus, le dénouement est imparfait, ou plutôt, il n’y a point de dénouement. La fuite de Marie Stuart en Angleterre, après la déroute de son armée et la ruine de son parti, ne termine rien, et laisse dans la même perplexité sur le sort des autres personnages. L’Abbé paraît, en définitive, une brillante esquisse du genre épisodique plutôt qu’un beau roman.

Abbé de l’Épée (L’), comédie historique, en cinq actes, par J.-N. Bouilly, représentée au Théâtre-Français, le 14 décembre 1799. Le fameux procès du comte de Solar, dans les