Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 1, part. 1, A-Am.djvu/81

Cette page a été validée par deux contributeurs.

A s. m. première lettre et première voyelle de notre alphabet et des alphabets de toutes les langues de l’Europe moderne. Il se retrouve au même rang et avec une valeur analogue dans l’Aleph des Hébreux et l’Alpha des Grecs, d’où les Latins, qui nous l’ont transmis directement, l’avaient sans doute tiré.

L’A peut être envisagé sous deux aspects différents : comme simple son, simple voyelle, ou comme signe graphique.

Considéré comme voyelle, A est l’expression du son le plus naturel à la voix humaine, du son qui demande si peu d’effort aux organes de la parole, qu’un savant a été jusqu’à soutenir qu’il pourrait être parfaitement prononcé par quelqu’un qui n’aurait ni langue, ni dents, ni lèvres. C’est, du reste, le premier son qui sort de la bouche des enfants, et le premier aussi qui échappe à tous les hommes dans les mouvements soudains de la douleur, de la joie, de la surprise, de l’admiration. Les linguistes qui reconnaissent la source divine des langues, mais qui pensent avec une grande apparence de raison qu’il a été donné à l’homme de former lui-même sa parole à l’imitation des bruits dont il était frappé, et qu’il a l’admirable faculté d’imiter sans exception, ont remarqué qu’il n’y a point de voix naturelle plus commune et plus générale. « La voix A, dit le président De Brosses, a dû précéder toutes les autres dans la composition de l’alphabet, puisqu’elle est la première dans l’ordre de la nature. »

On a remarqué, en outre, que, dans toutes les langues, la lettre A forme les premiers mots du vocabulaire de l’enfance, et qu’elle se trouve à la tête de la liste des interjections.

Elle se fait entendre, en effet, dans tous les bruits élémentaires : dans les vagues, dans les orages, dans les cascades, dans les cataractes, dans les éclats de la foudre, dans le fracas des tempêtes, dans le feuillage des bois agités par le vent, dans la plainte éternelle d’un grand lac, dans le gazouillement, dans le ramage d’un oiseau, dans les glapissements, dans les croassements des bêtes de proie, dans les clameurs, dans les hourras, dans le brouhaha de la multitude, dans le vagissement de l’enfant qui vient de naître, etc. « La première voyelle de l’alphabet, dit un écrivain, se trouve dans presque tous les mots qui peignent les scènes de la campagne, comme charrue, vache, cheval, labourage, vallée, montagne, arbre, pâturage, laitage, etc., et dans toutes les épithètes qui ordinairement accompagnent ces noms : laborieux, gras, agreste, aimable, etc. La lettre A ayant été découverte la première, comme étant la première émission naturelle de la voix, les hommes, alors pasteurs, l’ont employée dans les mots qui composaient le simple dictionnaire de leur vie. L’égalité de leurs mœurs et le peu de variété de leurs idées, nécessairement teintes des images des champs, devaient aussi amener le retour des mêmes sons dans le langage. Le son de l’A convient au calme d’un cœur champêtre et à la paix des tableaux rustiques. L’accent d’une âme passionnée est aigu, sifflant, précipité ; l’A est trop long pour elle ; il faut une bouche pastorale qui puisse prendre le temps de le prononcer avec lenteur. Toutefois, ce son entre fort bien encore dans les lamentations, dans les larmes amoureuses et dans les naïfs hélas d’un chevrier. Enfin, la nature fait entendre cette lettre rurale dans ses bruits, et une oreille attentive peut la reconnaître, diversement accentuée, dans les murmures de certains ombrages, comme celui du tremble et du liége, dans le bêlement des troupeaux, et, la nuit, dans les aboiements du chien rustique.

— On dit : la lettre A, le son A, la voix ou la voyelle A, ou tout simplement l’A : La voix a se forme en ouvrant fort la bouche : a.a, a ; oui ! (Mol.) La lettre a, chez presque toutes les nations, devint une lettre sacrée, parce qu’elle était la première. (Volt.) La voyelle que les enfants articulent le plus aisément est l’a, parce qu’il ne faut pour cela qu’ouvrir les lèvres et pousser un son. (Buff.)

À l’aspect du Très-Haut sitôt qu’Adam parla,
Ce fut apparemment l’a qu’il articula.       Pus.

— Dans quelque acception que ce soit, l’A ne prend jamais la lettre s au pluriel. On dit : De grands a, de petits a, des a longs, des a brefs. La manière la plus sûre de distinguer l’édition originale de Boccace de 1527 de celle qui est contrefaite, c’est de prendre garde aux a qui ont la tête en pointe dans la première. (Cailleau.) Homère ne s’assujettit pas à cette règle de l’harmonie qui rejette le concours des voyelles, et surtout des a. (Volt.)

— Cette lettre, a donné lieu à quelques opinions bizarres, que la plupart des Encyclopédies ont recueillies avec soin, et que nous ne reproduisons ici que pour montrer les écarts d’imagination auxquels les savants mêmes peuvent se livrer.

L’opinion la plus étrange est celle de l’espagnol Covarruvias, qui prétend qu’en naissant les garçons font entendre le son A, parce que c’est l’initiale du nom d’Adam, et les filles le son È, parce que c’est l’initiale du nom d’Ève.

Un hébraïsant moderne, Fabre d’Olivet, nous apprend que la lettre A est le signe de la puissance et de la stabilité ; qu’elle renferme les idées de l’unité et du principe qui la détermine. Court de Gébelin va plus loin encore ; il dit que le son A désigne l’état dont est affecté ce qui nous est propre, par conséquent ce qu’on possède, ce dont on jouit, de même que la domination et la priorité. Ce profond érudit ne s’arrête pas en si beau chemin ; il ajoute que le son A fut placé à la tête de l’alphabet comme le plus haut des sons et comme désignant l’homme, chef de tout. Selon lui encore, l’A est l’un des sons les plus éclatants, celui que l’on entend de la plus grande distance.

Quelques savants ont cherché dans la forme de la lettre A la figure de la disposition des organes vocaux dans l’émission de cette lettre. Le Hollandais Van-Helmont s’est imaginé trouver cette représentation exacte dans la forme de l’Aleph hébraïque, et l’abbé Moussaud prétend la reconnaître dans l’A majuscule latin : suivant lui, l’A est l’angle formé