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VIII
PRÉFACE.


Duclos. » On y admit en plus grand nombre les termes scientifiques ; on modifia beaucoup de définitions pour les rendre plus précises ; aux phrases d’exemple choisies dans le langage le plus familier on en ajouta d’autres propres à la langue des livres, et l’œuvre parut plus digne du premier corps littéraire du monde entier. Cependant l’Académie ne se crut pas pour cela déchargée de la tâche qui lui avait été imposée par le cardinal de Richelieu, son fondateur, et, comme Sisyphe, elle se remit au travail aussitôt pour remonter le rocher qui roulait au bas de la montagne dès qu’il en avait atteint le sommet. Son secrétaire perpétuel, d’Alembert, et, après lui, Marmontel, se mirent dès lors, et sans interruption, à préparer une nouvelle édition, en faisant, sur les marges et dans les interlignes d’un exemplaire de 1762, les additions et les corrections que l’observation des faits leur faisait juger nécessaires. Mais bientôt la Révolution survint, l’Académie fut dissoute, et, d’après une loi du 6 thermidor an II, l’exemplaire annoté devint propriété nationale. L’année suivante, un décret de la Convention ordonna que l’exemplaire chargé de notes marginales et interlinéaires serait remis aux libraires Smith, Maradan et compagnie, pour être par eux rendu public après son entier achèvement, et enjoignit auxdits libraires de prendre avec des gens de lettres de leur choix les arrangements nécessaires pour que ce travail fût continué et achevé sans délai. La Convention avait parlé, il fallait obéir ; les libraires n’eurent pas de peine à trouver des littérateurs qui se chargèrent d’achever l’œuvre commencée par d’Alembert et Marmontel ; mais ce que l’Académie aurait fait en un demi-siècle, peut-être, fut bâclé en quatre ans, et le nouveau Dictionnaire fut imprimé en l’an VII (1798). On conçoit aisément que l’Académie française, lorsqu’elle fut reconstituée, n’ait pas voulu reconnaître un travail auquel elle avait eu si peu de part : il ne faut donc tenir aucun compte de cette édition de 1798, et c’est en 1835 seulement que parut celle qui est réellement la sixième, et qui doit être regardée comme succédant directement au dictionnaire de 1762.

Quand on songe à la multitude et à l’importance des événements politiques qui se sont accomplis en France pendant cette période de soixante-treize ans, aux immenses progrès réalisés en même temps dans les sciences, dans les arts, dans les mœurs, dans les idées, et surtout dans la langue politique, on se rend compte aisément de l’intérêt qui dut s’attacher à cette publication nouvelle. Les Français sont naturellement railleurs ; ils ont vu tomber tant de rois que la couronne et le trône eux-mêmes n’ont plus la puissance de comprimer le rire quand il vient sur leurs lèvres ; il n’est donc pas étonnant que les académiciens aient été souvent l’objet de nos plaisanteries et de nos critiques, surtout quand il est évident à tous les yeux que les choix de la docte assemblée n’ont pas toujours été dictés par le vrai mérite. Cependant, au milieu de nos sarcasmes, il y a toujours, même à notre insu, un certain respect pour le titre d’académicien, et nous sentons qu’il y a un honneur véritable attaché au droit de s’asseoir sur l’un des quarante fauteuils. Nous savons qu’il y a des grâces d’état ; c’est la sagesse des nations qui a proclamé cet axiome, dont personne ne conteste la vérité : un juge, assis sur son tribunal, nous inspire du respect, même quand nous le savons indigne de juger ses semblables, parce que notre connaissance du cœur humain nous persuade qu’il y a dans ses fonctions mêmes quelque chose qui doit réveiller en lui le sentiment de la justice ; de même un littérateur médiocre, admis parmi les juges de la langue, nous inspire dès lors plus de confiance ; nous sentons que sa position seule doit le rendre plus attentif, plus circonspect, et ces qualités peuvent, jusqu’à un certain point, tenir lieu des lumières qui lui manquent. Il a d’ailleurs des collègues plus éclairés, il n’est pas assez dépourvu de connaissances pour ne point sentir son infériorité, et tout nous autorise à penser qu’il ralliera son opinion à celle des plus habiles. Bien plus, lors même que quelques articles du dictionnaire, les moins importants nécessairement, auraient été composés, comme cela est assez probable, par des hommes étrangers à l’Académie et salariés par elle, nous sentons qu’ils ont dû faire ce travail commandé avec plus de soin qu’un travail ordinaire : il y a dans les choses une force réelle dont l’action ne pourrait être neutralisée que par une force contraire. Ainsi, les décisions consignées dans le Dictionnaire de l’Académie peuvent être l’objet de nos critiques ; mais cela n’empêche pas les plus rebelles, quand ils ont des doutes sur une question de grammaire ou de lexicographie, d’être les premiers à consulter l’Académie et d’éprouver une réelle satisfaction quand l’avis pour lequel ils inclinent y trouve sa confirmation. Mais ce n’est pas seulement pour la France que la publication de 1835 fut un véritable événement littéraire ; notre langue est étudiée partout, les chefs-d’œuvre de nos écrivains sont lus en tous lieux, et notre Académie française jouit à l’étranger d’une estime et d’une autorité bien moins contestées encore que chez nous : son dictionnaire ne pouvait donc manquer d’exciter partout un grand mouvement de curiosité ; il était depuis longtemps attendu, et il restera comme le vrai code de la langue française jusqu’à ce qu’il soit remplacé par un autre code, émané de la même autorité. On lut avec un vif intérêt la préface de M. Villemain, placée en tête du dictionnaire et dont nous avons déjà parlé ; on la trouva digne de son auteur, et digne de l’Académie elle-même ; l’admiration générale dont elle fut l’objet était bien faite pour augmenter encore le sentiment de respectueuse déférence avec lequel fut accueillie l’œuvre collective de nos académiciens.

En 1835, non plus qu’en 1694 et en 1762, l’Académie française n’a point eu la prétention de faire un dictionnaire universel, c’est-à-dire un dictionnaire contenant tous les mots qui peuvent être employés dans toutes les circonstances possibles et par tous les Français, quelles que soient d’ailleurs leur position sociale et la nature ordinaire de leurs occupations ;