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LXVIII
PRÉFACE.

D’abord l’étymologie, ou l’histoire des origines individuelles des mots, la généalogie des termes d’une langue. Les lecteurs verront comment nous avons traité cette partie, qui, dans un dictionnaire français, doit être considérée comme une des plus importantes, au point de vue de la connaissance exacte des mots. Le Dictionnaire du XIXe siècle est le premier jusqu’ici, nous pouvons le dire sans vanité, qui ait inauguré en France ce progrès capital. Jusqu’ici l’on se bornait, même dans les dictionnaires les plus récents et les mieux faits (nous citerons pour exemple celui de M. Littré, auquel d’ailleurs nous avons rendu toute justice), à donner l’étymologie latine ou grecque la plus voisine du mot français, sans remonter au delà. Quelquefois on allait jusqu’à rapprocher les termes congénères, tels que nous les présentent les langues néo-latines ou romanes. Nous avons procédé tout autrement : non content de donner les étymologies immédiates d’un mot, nous avons, avec Pictet, Pott, Benfey, Kuhn, Weber et tant d’autres savants, franchi ces colonnes d’Hercule de la philologie classique. Nous nous sommes attaché à faire l’histoire complète d’un radical, à suivre les transformations multiples qu’il a subies en passant en français, en latin, en grec, en sanscrit, et dans les autres idiomes collatéraux : persan, zend, langues germaniques, slaves, etc., en un mot, dans toute la grande famille indo-européenne. Nous croyons avoir ainsi rendu un véritable service à nos lecteurs, en élevant l’étymologie, ce procédé auparavant si restreint et, pour ainsi dire, si mécanique, à la hauteur d’un enseignement philosophique et historique.

Une autre science dérivée de la linguistique, c’est la mythologie comparée, à peine connue en France, et cependant si prodigieuse dans ses applications. Nous ne pouvons pas donner ici la définition complète de cette science, qu’on trouvera traitée à son ordre alphabétique. Nous ferons seulement remarquer que si, comme le dit spirituellement Max Müller, la mythologie est une maladie du langage, il existe contre cette maladie un remède spécifique dont les effets, quoique rétrospectifs, n’en sont pas moins certains : c’est la linguistique, la linguistique seule, qui peut guider l’historien dans ce dédale des mythes primitifs, sans cesse transformés, fondus, défigurés, intervertis, substitués. Le lecteur verra ce que cette science peut produire, en parcourant les principaux articles que nous avons consacrés aux mythes, aux légendes, aux personnages fabuleux, de l’Inde, de la Grèce, du Latium, de la Perse, etc.

La linguistique proprement dite, qui rentre également dans la science du langage et en constitue un des éléments les plus personnels, a été de notre part l’objet d’une grande attention. Toutes les langues importantes ont été étudiées individuellement dans le Dictionnaire, au point de vue grammatical et au point de vue littéraire. Cette tâche était des plus ardues, parce qu’il n’existe pas un corps d’ouvrage renfermant tous les documents nécessaires pour l’accomplir. Nous eussions pu, il est vrai, à l’instar de nos devanciers, puiser sans scrupule dans certains ouvrages incomplets, mais commodes. Mais nous nous sommes imposé l’obligation de recourir toujours, sur chaque langue, aux travaux spéciaux dont elle a été l’objet. Nous avons fouillé quelquefois, pour un dialecte d’une importance médiocre, plusieurs grammaires écrites en différentes langues européennes ; nous avons mis à contribution les relations de voyages, les revues linguistiques, les vocabulaires, de volumineux recueils publiés par des Allemands, des Anglais, des Italiens, des Espagnols, des Russes, etc., en nous tenant au courant de tous les ouvrages nouveaux. Souvent même nous avons eu, grâce à la complaisance de quelques savants, des renseignements complètement inédits.

La grammaire comparée, une des plus belles conquêtes de la science du langage, a été traitée avec tous les développements qu’elle mérite. Comme pour la partie étymologique, nous avons exclusivement employé la méthode scientifique, telle qu’elle est aujourd’hui constituée et appliquée en Allemagne et en Angleterre. Là encore, nous sommes sorti de l’ornière classique et nous avons singulièrement agrandi le champ de notre sujet. Le rôle des particules, des prépositions, des conjonctions, les lois phonétiques auxquelles obéissent les langues, le mécanisme physique et intellectuel de la pensée, tout a été scrupuleusement étudié et exposé d’après les données les plus récentes.

Enfin, comme corollaire du système que nous avons suivi à l’égard de l’ensemble des connaissances constituant la science du langage, nous avons cru devoir, pour être complet, donner une place convenable aux principaux monuments des littératures orientales, si peu ou si mal appréciées encore en France. Ces monuments sont la base même des investigations de la science du langage, et en dehors de leur valeur purement littéraire, que nous avons également mise en relief, ils possèdent, aux yeux du linguiste, un prix inestimable. Les grandes épopées, les traditions religieuses et philosophiques, les travaux scientifiques et historiques de l’Inde, de la Perse, des races indo-européennes ou aryennes, de l’Égypte, du Japon, de la Chine, de l’Arabie, et même des peuples secondaires ou presque inconnus, Turcs, Tartares, Mexicains, Finnois, nations de l’Afrique, de l’Amérique et de l’Océanie, ont été, lorsqu’ils en étaient dignes, mentionnés à leur ordre alphabétique et analysés en raison de leur importance.

Une des parties les plus importantes traitées dans le Grand Dictionnaire, c’est l’histoire. Nous l’avons traitée avec l’impartialité la plus complète, en dehors de toute opinion préconçue, nous affranchissant, autant qu’il a été en notre pouvoir, de cet esprit systématique, ou de parti, qui dicte si souvent les jugements de l’historien ; nous n’avons pas cherché à plier les faits aux exigences de telle ou telle opinion, nous les avons présentés sous leur véritable jour, sans ménagement comme sans fai-