Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 1, part. 1, A-Am.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LIX
PRÉFACE.

en citer ici un exemple assez frappant. En recherchant l’origine du mot bei (apud), MM. Grimm ont été amenés à un radical qui doit être bau, représentant l’idée de culture et d’habitation. Ce mot bei a pour équivalent dans les langues Scandinaves le mot hos, dérivé de haus, maison, et, en français, le mot chez, dérivé de casa. Nous pouvons justifier cette assertion en ajoutant que, dans la plus grande partie du Poitou, on désigne les fermes, les métairies, et en général les habitations isolées, par le mot chais, auquel on ajoute le nom du propriétaire primitif, le chais Pierre, etc. Ce fait se reproduit aussi en Bretagne et dans le Bordelais, où ce mot chais exprime l’idée d’un bâtiment en général. — En résumé, si le dictionnaire des frères Grimm est un ouvrage indispensable aux Allemands, il est en outre destiné à rendre un immense service aux philologues qui étudient les origines germaniques de la langue française. Jusqu’à ce jour, en effet, ils sont allés puiser leurs étymologies dans les glossaires surannés de Wachter, Schiller, Haltaüs, Scherz, etc., ouvrages arriérés qui fourmillent d’erreurs et ne sont guère plus estimés à l’étranger que celui de Bullet, en France, pour les origines celtiques. Le nouveau dictionnaire leur fournira un guide sûr pour ces recherches délicates où il est d’autant plus facile de faire fausse route, que souvent une ressemblance de sons tout à fait trompeuse conduit à une étymologie erronée et fait rejeter la véritable. Ce ne sera pas là un des moindres services rendus par les frères Grimm à la philologie comparée, qui leur est déjà redevable de tant de travaux justement estimés.

Ces réflexions sont en partie empruntées à un article de M. Michelant, publié en 1854 dans une revue alsacienne. Aujourd’hui (1865), le Dictionnaire de la langue allemande en est arrivé à la première moitié de la lettre K ; ainsi, voilà un dictionnaire qui ne présente aucune des nombreuses parties neuves qui se trouvent dans le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, et trente années suffiront à peine à sa complète édification. N’y a-t-il pas là de quoi donner à réfléchir aux impatients qui nous harcèlent de leurs réclamations, et qui, trop pressés de jouir, ressemblent à cet enfant qui tirait chaque matin le brin d’herbe croissant trop lentement à son gré ? Laissons à la jeune plante le temps de grandir, si nous voulons la contempler plus tard dans toute sa vigueur et toute sa beauté.

Disons en terminant que le Dictionnaire de la langue allemande offre une innovation des plus heureuses : le caractère gothique bâtard, qui présentait une si singulière anomalie au XIXe siècle, est remplacé, pour la première fois, par le caractère romain, presque universellement usité aujourd’hui. C’est un acheminement vers cette langue universelle, que rêvent, à notre époque, toutes les intelligences élevées, tous les esprits généreux.

Vocabulaire de la Crusca, publié à Florence en 1612. Plusieurs essais de lexicographie avaient précédé, en Italie, cette remarquable publication : en 1536, le Napolitain F. Luna avait donné le Vocabulaire de cinq mille mots toscans, tirés de Pétrarque, Dante, Boccace et du Roland furieux ; mais les définitions étaient si étranges, qu’un autre vocabulaire n’eût pas été inutile pour les expliquer. En 1543, Albert Accarisio fit oublier cette ébauche informe par un lexique qui ne tarda pas à être effacé à son tour par le grammairien ferrarais Alunno, qui publia son Dictionnaire des Richesses de la langue vulgaire. En 1549, Corso fit paraître ses Fondements de la langue toscane, ouvrage tout théorique, il est vrai, mais le meilleur qui eût paru jusqu’alors. Enfin, Pergamini de Fossombrone composa son Mémorial de la langue italienne. Mais un véritable dictionnaire de la langue vulgaire manquait encore, et ce qui le fit naître ne fut ni un besoin d’unité politique, ni une nécessité littéraire, mais une rivalité municipale et l’esprit de parti qui divisait les diverses provinces italiennes. Le sentiment de beaucoup de Florentins était qu’on ne pouvait ni parler ni écrire la langue italienne avec élégance, à moins d’être né en Toscane, où les abeilles portaient le miel sur les lèvres des enfants comme jadis sur celles de Platon. À cette époque, on déterra par hasard dans une bibliothèque de Padoue le livre de Dante sur l’Éloquence vulgaire. La découverte de ce livre, où Dante paraissait soutenir que l’italien pur était commun à toutes les parties de la Péninsule, raviva cette ancienne question : si, en dehors de l’idiome toscan, n’avait pas existé une langue dont cet idiome avait seul conservé la bonne tradition, et que Dante distinguait de la langue populaire, affirmant que cette ancienne langue appartenait à toutes les cités et qu’elle n’était le privilège exclusif d’aucune. Les Toscans soutinrent avec ardeur l’hypothèse favorable à leurs prétentions, et, pour légitimer leur dictature, l’Académie de la Crusca, de Florence, conçut le dessein de publier un dictionnaire. Fondée à Florence en 1582, cette Académie avait pris son nom du mot italien crusca, son, partie grossière du grain qui reste sur le tamis quand la farine est blutée ; sa devise était un blutoir surmonté de ces mots : Il più bel fior ne coglie (Il en recueille la plus fine fleur). On ne pouvait indiquer plus clairement la fin qu’on se proposait : épurer la langue toscane, en séparer la fleur du son. Les académiciens saisirent aux cheveux l’occasion que leur présentaient ces rivalités municipales ; le dictionnaire fut entrepris, et la première édition parut en 1612. Mais une œuvre exécutée au milieu de telles luttes devait soulever contre elle beaucoup de mécontentements. Les académiciens de la Crusca avaient prétendu rédiger le code de la langue italienne ; les mots accueillis par eux devaient être les seuls légitimes ; ceux qu’ils n’avaient point admis devaient être proscrits. En conséquence, un grand nombre d’esprits jaloux et scrutateurs s’étudièrent à éplucher le nouveau vocabulaire : on nota les définitions peu exactes, on découvrit des erreurs, on remarqua des omissions ; enfin, on avait à cœur de donner un démenti à la devise ambitieuse : Il en recueille la plus fine fleur. Parmi les mécontents figurèrent Cittadini, Fioretti, J.-B. Doni, Jules Ottonelli et Alexandre Tassoni. Mais le plus