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XLIV
PRÉFACE.

par hasard, il se présente un cas qui exige trop impérieusement une opinion de la part de l’écrivain, il le fait en un seul mot, et ce mot est une solution. C’est ainsi que sont traités les plus redoutables problèmes qui puissent s’offrir aux recherches et aux méditations des Michelet, des Thiers et des H. Martin. Et voilà justement comme on écrit l’histoire…. quand on veut qu’un ouvrage franchisse la grille des couvents. Sur une des façades de son château de Meudon, le plus spirituel vaudevilliste qu’ait eu la France avait fait représenter une plume avec ces mots pour légende : Inde fortuna. Pour être dans le vrai, M. Bouillet, sans rien changer à la légende, aurait pu, à la première page de son ouvrage, remplacer la plume par le symbole de la prudence. Mais, diront les partisans du Dictionnaire Bouillet, les intentions de l’auteur étaient que son ouvrage pénétrât dans les écoles. — Eh bien, tant pis ! répondrons-nous ; car le mal nous semble encore plus grand. On fait sagement en mêlant d’eau le vin trop généreux que l’on donne aux enfants ; il ne saurait en être ainsi de l’histoire. Sans doute, certaines vérités historiques seraient une nourriture trop forte pour le jeune âge. Alors on peut attendre, mais on ne doit rien défigurer, et quand l’heure virile a sonné, il faut que cette mâle nourriture soit distribuée pure de tout mélange. Le Dictionnaire historique n’est pas un de ces livres à la première page desquels on pourrait mettre cette profession de foi en épigraphe. Il est difficile de se faire une idée de la prudence et de la timidité qui ont présidé à sa rédaction. Tout est pesé, châtié, émondé ; et, au lieu d’un portrait en pied, on n’a sous les yeux qu’un moignon ou bien une caricature.

Au reste, c’est ainsi que cet ouvrage célèbre commence déjà à être apprécié. Dans l’Amateur d’autographes, du 1er  février dernier, nous trouvons les lignes suivantes, signées Jacob Freinshemius : « Le Bouillet est un des préjugés naïfs de notre époque ; il est en général fort plat, fourmille d’erreurs, d’omissions, de non-sens, de contre-sens, d’absurdités de tout genre, et il a dû, en grande partie, son immense succès à la position de son père putatif dans l’Université. »

Parlerons-nous maintenant du Dictionnaire des sciences, des lettres et des arts du même auteur ? Toutes les hautes questions dont l’élucidation fait le tourment et fera la gloire du XIXe siècle n’y sont qu’effleurées. Les articles religieux ne sont guère qu’une paraphrase du catéchisme ; tout ce qui concerne l’économie politique et sociale y est à peine l’objet d’une simple définition, qui, bien entendu, ne définit rien. On peut voir à ce propos les mots Ame, Ange, Dieu, Apprentissage, Association, Assurance, etc., etc. En un mot, ce second travail de M. Bouillet est encore inférieur au premier, auquel l’auteur donnait du moins l’autorité de sa compétence d’historien laborieux et de professeur distingué.

Dictionnaire général de biographie et d’histoire, de mythologie, de géographie ancienne et moderne, etc., par Ch. Dezobry et Th. Bachelet ; deux beaux volumes de chacun 1500 pages. — Ce dictionnaire, composé sur le même plan que celui de Bouillet, lui est incontestablement supérieur. Il renferme un grand nombre d’articles parfaitement rédigés, et qui sont dignes des savants professeurs qui y ont collaboré. Quant à l’esprit qui a présidé à la rédaction, il est on ne peut mieux caractérisé dans l’article suivant de M. Freinshemius, que nous avons déjà mentionné plus haut : « Si les lecteurs indépendants le préfèrent au dictionnaire Bouillet, ce n’est certes pas pour son impartialité. Il n’a pas été soumis à la censure de Rome, je le veux bien, mais c’est par la raison fort simple qu’il n’en était nul besoin. Le Bouillet avait eu des écarts de jeunesse ; il avait été d’abord mis à l’index, et il ne rentra en grâce qu’après une expurgation spéciale. Le Dezobry, mieux avisé, ne s’exposa pas à l’onéreux danger d’avoir à refondre ses clichés. Il fut, dès son premier tirage, orthodoxe, officiel, académique, classique, universitaire, et tout cela avec un zèle tellement excessif, qu’il est douteux que la sacrée congrégation de l’Index, et toutes les autorités chargées de discipliner le monde, se fussent montrées aussi sévères, tranchons le mot, aussi aveuglément hostiles, spécialement envers tout ce qui concerne les protestants et le protestantisme, envers les philosophes, les penseurs, les hommes et les principes de la Révolution, etc. »

Nous n’avons presque rien à ajouter à ce jugement. Nul ne peut servir deux maîtres à la fois ; quand on se fait l’apôtre des idées vermoulues, et qu’on n’a pas pour l’odieux régime du passé une de ces haines vigoureuses dont parle le poëte, on ne saurait marcher avec la Révolution et le progrès.

Suivant jusqu’au bout la marche de son prédécesseur, M. Dezobry a aussi publié un dictionnaire scientifique, dû à la collaboration de MM. Focillon et Deschanel, et auquel on reproche avec raison de n’être qu’une photographie très-pâle et très-incomplète de l’état actuel des sciences. Quand on traite des matières dont le domaine s’agrandit chaque jour, on est tenu de présenter la science à son maximum de progrès, trop certain encore qu’on ne tardera pas à être dépassé par l’activité constante et presque fébrile du siècle.

Enfin, les deux auteurs du Dictionnaire historique ont complété cet ensemble par un Dictionnaire des lettres, beaux-arts, sciences morales et politiques. Ici, sauf les questions d’économie sociale, qui sont traitées avec une extrême réserve, et où, dans cette partie si neuve et si vaste, aucune idée ne fait saillie, nous n’avons qu’à applaudir au plan de l’ouvrage et à la savante exécution de la plupart des articles. On voit que les auteurs, débarrassés des préoccupations relatives à l’orthodoxie, étaient tout à fait à leur aise ; ils savaient bien qu’ils pouvaient tout au plus commettre quelques hérésies grammaticales ou littéraires, toutes choses qune causent aucun ombrage à la sainte congrégation de l’Index,