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XLIII
PRÉFACE.

de philosopher ne saurait s’arrêter à ce point de vue, que le spiritualisme classique et le matérialisme classique sont également rétrogrades, que d’ailleurs le dualisme cartésien était lié à une physique et à une physiologie aujourd’hui condamnées. Ces cartésiens du XIXe siècle en sont-ils aussi à la physique et à la physiologie mécaniques de Descartes ? Une philosophie qui n’a pas de racines dans les sciences, qui n’en forme pas la synthèse, le couronnement, qui est réduite à butiner dans les diverses doctrines antérieures, qui voit dans toute erreur une vérité incomplète, qui, d’après cette vue, marque sa place et fait sa part dans l’esprit humain à chacun des grands systèmes que l’histoire nous montre se disputant l’empire des intelligences, une telle philosophie manque nécessairement d’originalité et de profondeur ; elle est condamnée à l’inconsistance, à l’impuissance ; à l’infécondité ; elle ne vit pas. Malheureusement, c’est cette philosophie éclectique qui a inspiré M. Franck, et ses collaborateurs.

Dictionnaire universel d’histoire et de géographie, comprenant l’histoire proprement dite, la biographie universelle, la mythologie, la géographie ancienne et moderne, par M. N. Bouillet, inspecteur général de l’instruction publique. — Aucun livre, peut-être, n’a obtenu le succès de celui-ci ; c’est au point que le nom de l’auteur a passé dans la langue, et que l’on donne aujourd’hui le nom de Bouillet à tout dictionnaire d’histoire et de géographie. L’heureux biographe a pu dire : « Le succès de ce livre a dépassé mes espérances. » En effet, apprécié d’une manière très-favorable, dès son apparition, par les organes de la presse, autorisé par l’Université pour l’usage des écoles de tous les degrés : lycées, collèges, écoles normales, écoles supérieures ; recommandé par le ministre de l’instruction publique pour être placé dans toutes les salles d’études, envoyé aux bibliothèques, bien accueilli du public, cet ouvrage a eu vingt éditions successives en moins d’un quart de siècle. Mais aujourd’hui ce succès commence singulièrement à décroître ; le livre se meurt !… Voyons donc s’il méritait véritablement ce succès, et jugeons-le d’après la règle posée par Voltaire : on ne doit aux morts que la vérité.

Il n’y a point d’effet sans cause. Le succès du dictionnaire Bouillet s’explique par les cinq raisons suivantes : 1° il est venu le premier dans la carrière, car les gros in-4o de Moréri, de Bayle, de Trévoux, etc., ne convenaient qu’à des bibliothèques riches et privilégiées ; 2° le style est simple, clair, méthodique ; toutes les parties y ont une importance relative, l’auteur a su y appuyer le crayon également partout, qualité très-rare, préconisée par Buffon dans son célèbre discours sur le style ; 3° M. Bouillet était un membre actif, intelligent, et très-influent de l’Université ; 4° les premières éditions du livre furent mises à l’index, « comme entachées d’inexactitudes, d’omissions, d’expressions impropres et susceptibles d’être mal interprétées, d’appréciations contestables, » censure qui lui valut la sympathie des esprits indépendants ; 5° il fut ensuite chaudement approuvé et recommandé par la congrégation de l’Index, après de profondes modifications signalées et opérées par la sainte congrégation elle-même, ce qui lui ouvrit naturellement à deux battants les portes de tous les établissements religieux, particulièrement des séminaires.

Voilà, certes, de l’habileté, s’il en fut jamais ; Talleyrand et Metternich n’auraient rien trouvé de mieux au fond de leur sac. Aux libres penseurs, le dictionnaire Bouillet dit d’abord :

Je suis oiseau, voyez mes ailes !

Puis aux orthodoxes :

Je suis souris, vivent les rats ;
Jupiter confonde les chats !

Si nous nous reportons aux premières éditions, nous trouvons tout à fait inexplicables les saintes colères de la célèbre congrégation : cet ouvrage est écrit dans un esprit timide et rétrograde ; on n’aurait pas jugé autrement, aux plus beaux jours du moyen âge. Un dictionnaire historique qui se publie en plein XIXe siècle est tenu de partager les idées émancipatrices de son époque. L’histoire est souvent difficile à raconter, nous en convenons ; mais l’intérêt de la vérité l’emportera toujours sur tout autre. Pour savoir si un fait doit être rapporté ou passé sous silence, il ne faut pas se demander s’il est de nature à nuire ou à servir au succès de l’ouvrage ; il faut se poser cette question : Le fait est-il historique ? et si la réponse est affirmative, on écrit la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Croirait-on, par exemple, que les mots Auto-da-fé, Terreur, Massacres de septembre, occupent à peine un maigre alinéa dans le dictionnaire historique de M. Bouillet ? Aucune opinion personnelle n’est exprimée sur le mot Inquisition ; à l’article Bastille, on apprend en quatre lignes que c’était un château fort construit sous Charles VI, et situé sur la place qui sépare la rue Saint-Antoine du faubourg. Le lecteur, alléché par le titre de l’ouvrage, cherche quelques détails sur la prise de cette forteresse, qui inaugura la plus grande révolution qui fut jamais ; il ne trouve pas un mot qui puisse satisfaire sa légitime curiosité. Ateliers nationaux, Journées d’avril, Journée du 10 août, rappellent des événements qui tiennent la plus grande place dans notre histoire ; ils sont passés prudemment sous silence dans le dictionnaire historique de monsieur l’inspecteur général de l’Université, et il en est ainsi de tous les faits qui forcent l’historien indépendant à se prononcer. Si,