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XLII
PRÉFACE.

de ce genre, simples vocabulaires de la langue philosophique de Platon, ont paru dans l’antiquité ; on cite même un travail semblable sur la langue philosophique d’Aristote. La Somme de saint Thomas d’Aquin n’est pas un dictionnaire ; mais cet ouvrage peut être considéré comme l’encyclopédie philosophique et théologique du moyen âge, non-seulement chez les chrétiens, mais aussi chez les Arabes et chez les juifs. Le premier dictionnaire consacré spécialement à la philosophie parut après la déchéance de la scolastique, en 1582 (Venise) ; c’est le Lexique en trois parties (Lexicon triplex) de Bernardini, qui traite à la fois de la philosophie platonicienne, péripatéticienne et stoïcienne. Un ouvrage plus régulier, le Répertoire philosophique de N. Burchard, fut imprimé à Leipzig, en 1610. Vinrent à la suite le Lexique philosophique de Goclenius, publié en 1633, expliquant avec justesse et netteté tous les termes de philosophie en usage chez les anciens ; le Lexique de P. Godart (Paris, 1666), œuvre péripatéticienne ; celui d’Allsted (Herborn, 1626) ; celui de Chauvin, œuvre cartésienne et scolastique (Berlin, 1692) ; celui de Walch, représentant l’école de Leibnitz et de Wolf, ouvrage supérieur à tous les précédents par son esprit philosophique (Leipzig, 1726). Si l’on met à part le Dictionnaire historique de Bayle et l’Encyclopédie de Diderot, le seul répertoire moderne de la science métaphysique est un ouvrage allemand, le Lexique ou Encyclopédie philosophique de Krug (5 vol., 1838), recueil auquel on reproche de manquer de plan, de méthode et même de gravité, et qui traite plutôt de l’histoire de la philosophie que de la philosophie proprement dite.

Le Dictionnaire des sciences philosophiques embrasse dans son cadre : 1o la philosophie proprement dite ; 2o l’histoire de la philosophie accompagnée de l’appréciation et de la critique de toutes les opinions et de tous les systèmes dont elle offre le tableau ; 3o la biographie de tous les philosophes de quelque importance, renfermée dans les limites où elle peut être utile à la connaissance de leurs doctrines ; 4o la bibliographie philosophique disposée de manière à donner, à la suite de chaque article, une liste de tous les ouvrages qui se rapportent à cet article ou de tous les écrits du philosophe dont on vient de faire connaître la vie ; 5o la définition de tous les termes philosophiques, à quelque système qu’ils appartiennent, qu’ils aient été ou non conservés par l’usage. Une table synthétique des matières contenues dans les six volumes termine l’ouvrage et permet de saisir d’un coup d’œil les rapports naturels qui rattachent les matières dispersées par la série alphabétique. Parmi les collaborateurs nous citerons MM. Barni, Barthélemy Saint-Hilaire, Baudrillart, Bersot, Bouillier, Charma, Cournot, Damiron, Egger, Hauréau, Jacques, Janet, de Rémusat, Renan, Saisset, J. Simon, Tissot, Vacherot.

Au point de vue du style comme à celui de la science et de l’impartialité historiques nous ne pouvons avoir que des éloges pour le travail de M. Franck et de ses collaborateurs, mais nous devons faire des réserves sur l’esprit dans lequel la plupart des articles ont été composés. « C’est un trait caractéristique du vrai philosophe, a dit Feuerbach, de ne pas être professeur de philosophie. » C’est que la pleine liberté de l’esprit qui doit caractériser le vrai philosophe ne saurait guère s’accommoder des habitudes et des exigences pédagogiques ; c’est que l’enseignement public, officiel, de la philosophie, relève forcément, surtout en France, de la politique, de l’opinion, des convenances, c’est-à-dire d’influences contraires à la recherche désintéressée de la vérité ; c’est qu’un professeur de philosophie, organe de l’État dont il engage la responsabilité, est nécessairement tenu à des ménagements pour tous les autres organes de l’État ; que sa fonction renferme sa pensée dans des limites que le véritable esprit philosophique ne saurait accepter ; que cette pensée n’habite pas les hauteurs, templa serena, et que, s’abaissant aux transactions, elle ne connaît pas véritablement la pureté, la sincérité philosophique. Les honorables professeurs auxquels nous devons le Dictionnaire des sciences philosophiques nous avertissent dans une préface que leur ouvrage n’a rien de commun, pour l’esprit et le but, avec l’Encyclopédie de Diderot et de d’Alembert ; nous nous en serions douté. Ils sont d’un autre tempérament que les encyclopédistes ; ils n’ont pas la jeunesse, la passion, la chaleur, la furia francese intellectuelle ; ils sont d’une circonspection, d’une modération qui repousse toute extrémité ; ils se tiennent à distance de la haute critique, se traînant dans les arguments classiques et les lieux communs oratoires. Ce n’est pas chez eux qu’il faut chercher les ambitions et les audaces de l’Allemagne philosophique ; leur pied discret, ne voulant troubler aucun sommeil, se heurter à aucune autorité, ne s’aventure ni sur le terrain des sciences physiques et biologiques, ni sur celui des sciences sociales, ni surtout du côté de la théologie. S’ils offensent les âmes pieuses, c’est qu’en vérité les âmes pieuses sont bien difficiles. « Gardant au fond de nos cœurs, nous disent-ils avec onction, un respect inviolable pour cette puissance tutélaire qui accompagne l’homme depuis le berceau jusqu’à la tombe, toujours en lui parlant de Dieu et en lui montrant le ciel comme sa vraie patrie, nous croyons cependant (quelle intrépidité de foi philosophique dans ce cependant ! ) que la philosophie et la religion sont deux choses tout à fait distinctes (en êtes-vous bien sûrs ? ), dont l’une ne saurait remplacer l’autre, et qui sont nécessaires toutes deux à la satisfaction de l’âme et à la dignité de notre espèce. » C’est pitié vraiment de voir la philosophie française au XIXe siècle, après Voltaire, Rousseau, les encyclopédistes, après Kant et ses successeurs, après la Révolution, renoncer à la domination universelle, demander humblement sa place au soleil à côté de la théologie, et revenir à l’espèce de pacte établi par les penseurs du XVIIe siècle entre la foi catholique et la libre pensée, entre le rationalisme et la révélation.

Les auteurs du Dictionnaire des sciences philosophiques déclarent qu’ils adoptent la méthode de Descartes, et qu’ils professent le dualisme de Descartes. Ils ne considèrent pas que, depuis les travaux de Leibnitz et de Kant, quiconque est capable