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XXXIX
PRÉFACE.

ment, l’esprit manichéen qui l’a faite, était important dans le plan de la Providence ! On lit à l’article Alexandre : « Reste maintenant à faire hommage à la Providence de cet éternel à-propos des hommes et des faits, que l’histoire nous présente. Ce n’est certainement point le hasard qui, dans les circonstances les plus favorables à la conquête de l’Asie, place l’homme le mieux fait pour l’accomplir. La conscience d’Alexandre ne ment point lorsqu’elle lui dit que c’est là la raison de son existence. Sa vingt-deuxième année coïncide avec l’époque où la Grèce n’a plus rien à faire, si ce n’est de l’accompagner. » Ainsi, voilà qui est clair : nulle place, dans l’histoire, pour le hasard, pour la liberté et la responsabilité des individus, pour les passions et les ambitions coupables. Démosthène est un fou qui ne veut pas comprendre la raisonde l’existence d’Alexandre et qui, en défendant la liberté hellénique, lutte contre la Providence. Périssent Clitus, Callisthène, et l’esprit grec, qui ne veut pas s’absorber dans l’Orient ! — Lisez l’article Auguste… : « Il nous a paru peu philosophique, dit l’auteur de cet article, de présenter ici le tableau des proscriptions des triumvirs. Qui ignore aujourd’hui que, pour enfanter l’époque actuelle (l’auteur écrivait en 1840), l’humanité a beaucoup souffert ? Mais ce que les douleurs du passé nous demandent, ce n’est point de nous attendrir sur un peu de sang qui ondoyait l’année d’après en joyeuses moissons, c’est de pousser à leur but des révolutions qui ont tant coûté. » Ainsi l’Encyclopédie nouvelle compare les crimes de l’ambition aux douleurs de l’enfantement ; ces douleurs étaient nécessaires pour produire l’époque où nous sommes ! Elle va jusqu’à nous interdire la pitié pour les victimes ! Ce que les douleurs du passé demandent à l’histoire, dirons-nous à l’auteur des incroyables lignes que nous venons de citer, c’est d’avoir une conscience, c’est de condamner les impunis, c’est de faire justice aux vaincus, c’est de garder comme un dépôt sacré l’honneur de ceux qui n’ont pas réussi, c’est de ne pas confondre, comme également nécessaires et légitimes, les révolutions qui fondent le règne de la justice et de la liberté, et celles qui élèvent des trônes sur les débris des lois.

Encyclopédie Catholique, répertoire universel et raisonné des sciences, des lettres, des arts et des métiers, avec la biographie des hommes célèbres, etc., publiée sous la direction de M. l’abbé Glaire, de M. le vicomte Walsh, et d’un comité d’orthodoxie ; Paris, 1838-1849, dix-huit volumes in-4o. Le titre seul de cette collection, et les noms des collaborateurs, suffisent à indiquer l’esprit qui y préside. C’est une compilation sans aucune valeur scientifique ou littéraire. La partie biographique est empruntée presque entièrement à Feller ; la partie scientifique est nulle ; toutes les découvertes qui se mettent en contradiction avec les axiomes de la Bible sont considérées comme non avenues. La partie philosophique est une contre-épreuve des cours de séminaires ; la partie historique est arriérée à tous les points de vue et besognée avec la platitude qui distingue les travaux des scribes de sacristie.

Il nous suffira de citer un seul exemple de sa haute impartialité. Pour l’Encyclopédie catholique, Diderot n’était qu’une sorte d’épileptique, dont « la prétendue sensibilité ne s’exprimait que par des hurlements et des convulsions. » Suivant la charitable dame, cet échappé des Petites-Maisons « fit le voyage de Saint-Pétersbourg à Paris en robe de chambre et en bonnet de nuit, et se promenait en cet équipage dans les villes les plus fréquentées ; les curieux ne tardaient pas à demander quel était cet homme extraordinaire, et son domestique répondait : C’est le célèbre M. Diderot. » Enfin, le philosophe « mourut après avoir bien dîné. » Ce dernier trait, qui a la prétention d’être bien méchant, n’est que ridicule, car la sobriété de Diderot est aussi proverbiale que son désintéressement. On voit que nous sommes ici en face d’un écrivain de l’école de Basile : Calomniez, calomniez….

Cependant l’article Diderot n’était pas de nature à embarrasser Messieurs de l’Encyclopédie catholique ; il leur suffisait de l’habiller à la manière de M. Veuillot, et le tour était joué. Mais, dans une biographie universelle, on se trouve quelquefois en face de personnages qu’il n’est pas si facile de déguiser ; et c’est ce qui arriva à la pieuse dame quand elle en fût à l’article Galilée. Ici, ne pouvant défigurer, elle eut recours à l’escamotage, et Galilée brille par son absence dans les dix-huit gros volumes de l’Encyclopédie catholique. C’est plus que caractéristique, c’est piquant. Cela paraîtra sans doute inouï à nos lecteurs ; mais nous les invitons à s’en assurer de visu. Vraiment, l’Encyclopédie était bien naïve ; que ne recourait-elle à la plume d’un Feller quelconque ? Celui-ci aurait prouvé aux lecteurs orthodoxes que l’illustre astronome n’eut qu’à se louer des procédés de l’inquisition, et que « sa prison était un château délicieux, où il respirait un air pur auprès de sa chère patrie. »

Néanmoins, nous reconnaissons que l’on trouve dans cette Encyclopédie d’assez judicieuses appréciations sur tous les sujets qui ne s’écartent pas de l’orthodoxie catholique ; mais, partout ailleurs, le parti pris de la rédaction éclate à chaque ligne. Avec un esprit aussi exclusif, on comprend dans quel sens doivent être composés les articles relatifs à la Révolution et aux idées nouvelles. Telle qu’elle est cependant, cette œuvre mérite d’être consultée, bien que le progrès des sciences n’y soit que légèrement indiqué et que l’on y cherche en vain ce qui est le dernier mot de chaque branche des connaissances humaines. Ajoutons que, terminée depuis dix ans, elle a besoin d’être revue et considérablement augmentée. Il s’y trouve déjà de regrettables lacunes.

Ce n’est pas sans surprise que l’on rencontre ces trois initiales au bas de quelques articles : P. J. P., que l’on sait ap-