Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 1, part. 1, A-Am.djvu/345

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guay les fondements du pouvoir colossal dont ils ont joui pendant deux siècles.

Un siècle après que Lemaire eut doublé le cap Horn et indiqué ainsi aux navigateurs une voie plus facile que le détroit de Magellan pour passer en Océanie, les terres boréales de l’Amérique du Nord furent étudiées à l’ouest et à l’est, et les Russes commencèrent, par leurs explorations du côté occidental, à fonder leurs établissements d’Amérique.

Vers les premières années du XVIIIe siècle, toutes les côtes de l’Amérique étaient à peu près connues. La partie boréale seule offrait encore une assez vaste carrière aux explorations ; il y avait là plus d’une inconnue à dégager, plus d’un doute à éclaircir ; par exemple, on ne pouvait dire d’une façon positive si l’Amérique était ou n’était pas séparée du continent asiatique. La Russie, dont le nom n’a pas encore figuré dans l’histoire de la découverte, se chargea de fixer les esprits sur ce dernier point. En 1728, Behring découvrit le détroit qui a reçu son nom, sans toutefois aborder le continent américain ; douze ans plus tard, en 1741, il explorait la côte nord-ouest, la péninsule d’Alaska et les îles Shumagen. En 1768, Cheleghoff prit possession de Kodiak, et fonda le premier comptoir de la compagnie russe d’Amérique.

En 1776 l’illustre Cook découvrit William’s Sund, la rivière de Cook, visita les îles Aléoutiennes, et s’avança au nord jusqu’au cap des Glaces. En 1790, Mackensie découvrit la rivière qui porte son nom, et se rendit sur les bords de la mer Glaciale. Enfin, en 1799, Humboldt et Bonpland commençaient ce voyage si connu, qui ne s’est terminé qu’en 1805, et qui a jeté une si grande lumière sur la géographie de l’Orénoque, de la Colombie, du Pérou et du Mexique. Dans les régions boréales, le seul point où il restât un théâtre à explorer, les voyages de Ross (1818-1829-1832), de Parry (1819-1821-1827), de Franklin et de Richardson (1820-1824-1826), de Beechey (1825-1828), avaient presque conduit à une solution satisfaisante le problème si longtemps indécis de la possibilité du passage nord-ouest. Mais aujourd’hui le doute n’existe plus. Les expéditions successives de Mac Clure, du docteur Kane, du lieutenant français Bellot, en 1851-52-53, ont permis de compléter la carte de l’Amérique du Nord. En terminant, faisons connaître les résultats de cette immixtion de l’Europe dans le nouveau monde.

La conquête et la colonisation de l’Amérique par les Européens avaient été une œuvre de suprême injustice, caractérisée par deux actes de lèse-humanité : l’extermination presque totale de la race indigène des Indiens du Nord et du Sud, et l’introduction des esclaves nègres sur ce sol vierge nouvellement révélé à l’Europe. « À peine découverte, dit à ce propos M. Michelet, l’Amérique devient le champ de l’esclavage. » L’extermination des Indiens se fit, presque sans résistance de leur part, par l’épée et par le travail meurtrier des mines. Les horreurs que commirent les premiers aventuriers étaient arrivées à ce point qu’un célèbre philanthrope, un évêque, le vénérable Las Casas, en vint à croire qu’il n’y avait qu’un remède pour sauver les derniers représentants de la race aborigène, c’était de dévouer provisoirement au même travail meurtrier les représentants d’une autre race plus robuste, les nègres. Mais, comme tant d’autres, ce provisoire devait devenir permanent : il dure encore. Les compagnons de Pizarre et de Cortez étaient trop avides pour partager avec les Indiens les trésors que ceux-ci possédaient ; il leur parut plus facile de les exterminer. Puis, quand on ne trouva plus rien à prendre de force, les aventuriers, trop fiers hidalgos pour descendre au travail manuel qui devait faire rendre à la terre américaine ses trésors minéraux et agricoles, forcèrent les Indiens à travailler sans relâche, les uns, penchés sur le sol sous un soleil brûlant, les autres, enfouis dans les mines, sans espoir de jamais remonter à la surface. Les malheureux indigènes, peu endurcis aux fatigues, savaient d’avance la triste destinée qui les attendait. Quand le sort, espèce de conscription du travail forcé, désignait l’un d’eux pour descendre aux mines pendant un temps légal de dix-huit mois, la famille de la victime se réunissait et procédait aux cérémonies funèbres, absolument comme s’il eût été déjà mort. Puis, sa femme l’accompagnait jusqu’à l’orifice de la mine, et le regardait descendre dans ce sépulcre anticipé. Avant l’expiration du temps légal, l’Indien était généralement tué par le travail excessif imposé par les conquérants espagnols. Aussi s'explique-t-on qu'il reste à peine aujourd'hui quelques milliers d'indigènes dans les deux Amériques ; encore faut-il les chercher là où la conquête européenne ne fit que passer, et où la nature du terrain, les savanes du Nord, les pampas du Sud, laissaient peu d’espoir à l’avidité des conquérants.

Toutes les nations indiennes des deux Amériques appartiennent, sans exception, à la division des espèces léiotriques (à cheveux lisses) de Bory de Saint-Vincent, et peuvent se partager en deux grandes classes, dont la première comprend les Esquimaux, et la seconde toutes les autres variétés. Les Esquimaux sont de la même race que celle qui est répandue le long des côtes boréales de l’Asie. Dans la seconde classe, nous citerons : 1° le type colombique, au teint d’un rouge cuivré plus ou moins sombre, auquel on rapporte toutes les nations habitant le Canada, les États-Unis, jusqu’au nord du Mexique et au golfe du même nom, et entre les montagnes Rocheuses et la Cordillère maritime ; 2° le type mexicain, au teint d’un brun rougeâtre, qui occupe le plateau du Mexique et l’Amérique centrale, mais qui est probablement originaire de la côte nord-ouest ; 3° le type caraïbe, à la tête conique, race qui se distingue de la colombique par un teint plus clair. Autrefois puissante et maîtresse du delta compris entre l’Orénoque et l’Amazone, d’où elle s’était répandue jusqu’aux Antilles, cette race, plus d’à moitié éteinte, est aujourd’hui confinée à l’île de Saint-Vincent et au centre de la Guyane ; 4° le type péruvien, semblable au mexicain, mais avec la tête moins grosse, répandu de l’équateur au 40° lat. S., entre les Andes et le grand Océan ; 5° les innombrables nations disséminées dans la Colombie, la Guyane, le Brésil, la Bolivie, et les provinces nord de la république Argentine, parmi lesquelles on observe toutes les différences possibles, depuis l’Otomaque abruti des bords de l’Orénoque jusqu’au Guaycuru du Paraguay et du Grand-Chaco ; 6° le type pampa, nom sous lequel on comprend toutes les nations qui errent dans les pampas de Buenos-Ayres et de la Patagonie ; 7° enfin le type patagon, confiné sur les bords du détroit de Magellan, et qui paraît se réduire à quelques hordes menant une existence errante.

Ces peuples, dont quelques-uns étaient autrefois puissants, forment à peine aujourd’hui de petites tribus, sans cesse mêlées aux races européennes qui les avoisinent. Les Indiens ont perdu, par conséquent, leurs coutumes et leurs mœurs d’autrefois, et, au milieu des nombreuses révolutions américaines, ils ont oublié jusqu’au dialecte parlé par leurs pères.


3" Affranchissement des colonies américaines. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, l’Amérique n’avait été qu’une extension politique de l’Europe. Le 4 juillet 1776 est pour elle une grande date ; c’est l’époque où elle commence à prendre possession d’elle-même, à vivre d’une vie propre, à se détacher comme un fruit mûr de la tige maternelle, l’époque où elle devient vraiment un nouveau monde politique. L’affranchissement des États-Unis, le prêté par la France à cet affranchissement (V. États-Unis.Histoire), concours qui était en quelque sorte le prologue de la Révolution française, semblent agrandir le théâtre de l’histoire, en faisant entrer dans l’équilibre des États, dans le mouvement général de la civilisation, des forces, des intérêts et des droits nouveaux qui, réagissant sur l’Europe, devaient exercer une immense influence sur les destinées de l’humanité. Les colonies espagnoles, sans doute en raison de la différence de religion, de race et de climat, furent plus lentes à secouer le joug. Ce fut la colonie française de Saint-Domingue qui, tirée de sa torpeur par le coup de tonnerre de 89, suivit la première l’exemple des États-Unis (1804). Quelques années plus tard, le mouvement imprimé au monde par la Révolution française, et l’invasion de l’Espagne par Napoléon Ier, déterminèrent sur tous les points le soulèvement des possessions espagnoles, depuis Buenos-Ayres jusqu’au Mexique (de 1808 à 1810). Une junte convoquée à Buenos-Ayres, en 1810, prit en main les rênes du gouvernement. En 1815, le congrès de Tucuman, reporté ensuite à Buenos-Ayres, fit une constitution républicaine. Le 9 juillet 1816, l’indépendance fut proclamée, et le Chili suivit bientôt cet exemple. Après quinze ans de guerres, la bataille d’Ayacucho, livrée le 9 décembre 1824, mit fin à la domination de l’Espagne sur le continent américain. Dès 1821, le Brésil s’était déclaré indépendant du Portugal. Le résultat de ces guerres de l’indépendance américaine fut le partage politique de l’Amérique en deux grandes divisions : l’une, composée des États qui ont secoué le joug de leurs métropoles respectives ; l’autre, formée des possessions européennes.

Dans l’Amérique du Nord nous trouvons : la confédération anglo—américaine ou les États-Unis, le Mexique, le Guatemala, San-Salvador, le Honduras, le Nicaragua et Haïti. Dans le Sud : la Nouvelle-Grenade, l’Équateur, le Vénézuela, la Bolivie, le Brésil, l’Uraguay, le Paraguay, le Rio-de-la-Plata et le Chili.

Les possessions des Européens dans les deux Amériques se répartissent, de la manière suivantes :

Possessions anglaises : dans les Antilles, les Bermudes, la Jamaïque, les Bahamas, Tabago, la Trinité, et un grand nombre d’autres îles ; dans d’autres parties de l’Amérique, le Canada, la Nouvelle-Écosse, le Yucatan anglais, la Guyane anglaise, etc. ;

Possessions françaises : dans les Antilles, la Martinique, la Guadeloupe, la Désirade, les Saintes et Marie-Galante ; — la Guyane française, les îles St-Pierre et Miquelon, près de la côte de Terre-Neuve ;

Possessions espagnoles : dans les Antilles, Cuba et Porto-Rico ;

Possessions hollandaises : plusieurs îles dans les Antilles, telles que St-Martin, Curaçao, Arouba, etc., et une portion de la Guyane ;

Possessions danoises : l’île St-Barthélemy, dans les Antilles ;

Possessions russes : quelques parties vers la côte nord-ouest.



Amérique (Guerre d’), appelée aussi guerre de la sécession, à cause de la séparation des États qui se sont retirés de l’union américaine. Les journaux abolitionnistes du nord de l’Amérique donnent encore à cette lutte fratricide le nom de slaveholders’ rebellion, ou révolte des propriétaires d’esclaves, tandis que les journaux du Sud l’appellent guerre des abolitionnistes. Ces deux derniers noms sont certainement les plus exacts, quoique les moins souvent employés en Europe. Ils sont exacts, parce qu’ils indiquent du premier coup d’œil l’origine et le but de cette guerre civile, qui dure depuis le 12 avril 1861 et qui ne parait pas près de se terminer. En effet, ce n’est pas, bien qu’on l’ait souvent prétendu, aux questions de tarif qu’il faut attribuer cette terrible guerre. Les Américains du sud des États-Unis ont pu se montrer partisans du libre-échange, et se plaindre des tarifs protecteurs que leur imposait l’Union ; mais en réalité, c’est l’esclavage, et non une question de douane, qui a divisé la grande république en deux camps:les fédéraux unionistes ou abolitionnistes, et les confédérés séparatistes, sécessionnistes ou esclavagistes.

Les États-Unis autrefois si prospères, expient aujourd’hui le crime commis par les Européens, qui, dans un esprit de lucre, introduisirent l’esclavage en Amérique. La justice éternelle n’admet pas la prescription.

En 1620 et 1621, alors que toute la côte américaine de l’Atlantique, de Terre-Neuve à la Floride, était revendiquée par les Anglais comme leur propriété, moins les possessions hollandaises de New-York, trois faits se produisirent, dont les conséquences se font ressentir encore chaque jour. Les puritains d’Angleterre débarquent sur le rocher de Plymouth, près de Boston, sous le nom de Pères pèlerins, et jettent les fondements de la grandeur et des institutions futures des États-Unis, que colonisaient déjà les Anglais en Virginie, et les Français dans les Carolines. Les premiers esclaves introduits sur l’ancien territoire de l’union américaine sont vendus par un navire hollandais, qui en débarqua vingt à Jamestown en Virginie. Enfin, en 1621 commence la culture du coton.

Jusqu’en 1776, les États-Unis restèrent colonie anglaise, et prirent peu de développement. Souvent ils réclamèrent, surtout les États du Sud, l’abolition de la traite des nègres ; mais l’Angleterre, leur métropole, bénéficiait trop de ce commerce pour écouter ces plaintes; elle continua donc à jeter des esclaves sur le marché américain. Il faut que la première faute remonte à qui de droit. La seconde fut commise en 1788, lors de la rédaction de la constitution de la République américaine. Des hommes comme Washington et Jefferson, n’osèrent pas regarder la vérité en face, et, par excès de patriotisme, ils préférèrent pactiser avec l’institution de l’esclavage, qui était la négation flagrante de leurs principes républicains. Pour ne pas compliquer d’une nouvelle difficulté les affaires déjà si embarrassées de leur république naissante, ils maintinrent l’esclavage, se fiant au temps et à la civilisation pour l’extirpation de cette plaie honteuse. Le temps et la civilisation devaient donner un triste démenti à leurs prévisions et à leurs espérances. En quatre-vingts ans, le nombre des esclaves a presque décuplé aux États-Unis : il y en avait 697,897 en 1790 ; 3,952,801 en 1860 ; et aujourd’hui, malgré la guerre, il y en a 4 millions. Le progrès de la civilisation a amené l’invention de la fameuse machine à nettoyer le coton, qui seule pouvait rendre le travail esclave productif, et intéresser les propriétaires à acheter et à augmenter le nombre de leur bétail humain. « Cette invention, dit M. Bigelow, modifia peu à peu dans les États cotonniers l’opinion publique, qui précédemment était loin de repousser une émancipation progressive. C’étaient, au contraire, les États du Sud qui, à cette époque, prouvaient par leurs actes leurs sentiments abolitionnistes, tandis que les États du Nord restaient attachés à l’esclavagisme ; ceux-ci refusèrent même d’abolir la traite des nègres quand elle était déjà défendue dans certains États du Sud, qui, en même temps, appuyaient, malgré les États du Nord, le décret de 1787, décret qui excluait l’institution de l’esclavage du territoire situé au nord-ouest. L’invention de la machine à nettoyer le coton renversa, au Sud, tout cet échafaudage de beaux sentiments. Les États du Sud devinrent de forcenés esclavagistes, tandis que ceux du Nord, ne trouvant pas à tirer un bon parti de leurs esclaves, à cause des conditions climatériques et agricoles de leur pays, les revendirent à leurs frères des États méridionaux, et se firent abolitionnistes quelques années après. Cependant, en 1840, le Rhode-Island comptait encore 5 esclaves ; la Pensylvanie, 64, et le New-Jersey en avait encore 236 en 1850. Toutefois, depuis 1820, on pouvait considérer les États-Unis comme divisés en deux grandes sections sous le rapport de l’esclavage, les États du Sud, qui possédaient des millions d’esclaves, et ceux du Nord, qui n’en avaient plus que quelques centaines.

Cette population servile enrichissait par ses sueurs non-seulement ses maîtres du Sud, mais encore leurs compatriotes du Nord, en relations d’affaires avec eux. La croisade abolitionniste ne pouvait donc provenir d’une jalousie commerciale et intéressée de la part du Nord. Mais cette croisade surgit d’abord d’une jalousie politique, et fut ensuite activée par les sentiments vraiment philanthropiques et désintéressés de la petite secte abolitioniste, dont, en 1831, Garrison déploya le drapeau dans son journal, le Libérateur. Par la faute des fondateurs de la république américaine, une grande concession avait été faite à l’esclavage dans la constitution. Un article disait que, pour déterminer le chiffre des représentants que chaque État aurait le droit d’envoyer au congrès, les trois cinquièmes de la totalité des esclaves seraient comptés comme l’équivalent du même nombre de blancs. Le propriétaire de 5 esclaves, par exemple, pouvait donc jeter quatre voix dans l’urne, une pour lui et trois pour les esclaves qu’il possédait. Ce fait anormal, que 5 nègres conféraient à un État la même prérogative que 3 blancs, porta les propriétaires non-seulement à désirer l’augmentation du nombre de leurs esclaves, mais encore à considérer comme une offense politique toute tentative faite pour discréditer un genre de propriété qui leur procurait de si grands avantages. De là la nécessité, pour le Nord, de lutter contre cet empiétement du pouvoir par les États du Sud. Or, le meilleur moyen d’arriver au but était de battre en brèche l’esclavage, base de la puissance politique du Sud ; et, pour atteindre ce résultat, deux mesures se présentaient, car, à ce moment, personne ne songeait encore à décréter l’abolition pure et simple. Ces deux mesures consistaient : 1° à circonscrire l’esclavage dans ses limites actuelles, à lui dire : Tu n’iras pas plus loin. C’est ce à quoi le Nord tendait, quand il proposa qu’aucun territoire nouveau ne pût être reconnu État de l’Union si l’esclavage était inscrit dans sa constitution ; 2° à discréditer la propriété nègre, en déclarant, par le bill de « la liberté personnelle » et celui des « esclaves fugitifs », que tout esclave trouvé dans un État libre devenait libre par ce fait seul, et ne pourrait être rendu à ses anciens maîtres. Cependant, la lutte politique ne devait commencer qu’en 1819, au moment où le développement croissant de la culture du coton augmentait subitement le nombre des esclaves du Sud, et où le Nord voyait la prépondérance près de passer à son rival. L’équilibre n’existait plus, la bonne entente avait disparu. Les frères ennemis commencèrent au congrès de Washington, d’abord dans leurs livres, leurs journaux et leurs clubs politiques, cette guerre de paroles et d’écrits qui, en 1861, devait être remplacée par celle du canon et de la baïonnette.

Lors de la déclaration de l’indépendance, l’Union comptait treize États qui s’étaient, comme nous l’avons vu, partagés en deux camps : le Nord sans esclaves, le Sud avec des esclaves. Or ici les esclaves étaient pour leurs maîtres un levier politique, et ce fut la pomme de discorde jetée entre les deux partis. Lorsqu’un État à esclaves demandait son admission dans l’Union, un État libre se présentait aussitôt, réclamant la même faveur. C’est ainsi qu’en 1860, on était arrivé à compter trente-quatre États dans l’Union américaine. En 1819, on avait proposé l’admission de deux États à esclaves. Le Nord, qui, pour faire la balance, n’en avait pas deux libres à présenter, demanda pour un de ces deux États, le Missouri, l’émancipation graduelle de l’esclavage, avec défense d’y introduire de nouveaux esclaves. Mais les esprits n’étaient pas assez préparés à l’idée d’abolition ; il fallut encore quarante ans, et ces quarante années sont ce qu’on appelle, en Amérique, l’ère des compromis, c’est-à-dire que le Nord et le Sud se faisaient, chacun de son côté des concessions réciproques, et qu’il résulta du compromis de 1819-20, que le Missouri serait admis avec l’esclavage, mais à la condition que les territoires situés au nord de cet État deviendraient libres à jamais. Telle fut l’origine de la fameuse ligne Mason et Dixon, ligne qui suivait le 36° 30’de latitude, et au nord de laquelle l’esclavage était prohibé.

Il était temps que ce fameux compromis du Missouri fût adopté. Le Sud s’écriait déjà que « des flots de sang pourraient seuls éteindre l’incendie qui venait d’être allumé ! »   Le conflit irréconciliable (the irrepressible conflict), comme disait M. Seward, était définitivement engagé, et le prologue de cette sanglante tragédie déjà joué. Sous la direction de Calhoun, homme d’État du Sud, les États esclavagistes continuèrent la lutte, en cherchant à introduire dans l’Union le plus possible d’États ayant l’institution de l’esclavage. Chaque État, en effet, quelle que soit sa population, envoie deux sénateurs à la Chambre haute du congrès, et un nombre de représentants proportionnel à la population. La suprématie politique appartiendrait donc à celle des deux sections, Nord ou Sud, qui compterait le plus de votants : or, malgré l’accroissement énorme du nombre des nègres, malgré la clause qui donnait au propriétaire de cinq esclaves le droit de voter comme si ses esclaves eussent égalé trois hommes libres ; malgré tous ces avantages, disons-nous, le Sud craignait d’être distancé par suite de l’immense émigration allemande et irlandaise au Nord. C’est alors que le Sud fit annexer à l’Union le Texas, dont il pensait faire plus tard cinq États à esclaves. L’orgueil national du Nord, flatté par l’idée d’agrandissement et par la perspective de l’acquisition de la Californie, céda encore cette fois au Sud. L’immense État du Texas fut introduit dans l’Union le 25 janvier 1845. La guerre avec le Mexique s’ensuivit, et, le 2 février 1848, le traité de Guadalupe Hidalgo don-