Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 1, part. 1, A-Am.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XXIV
PRÉFACE.

des fortifications et de la tactique ; Gaussier, de la coupe des pierres ; d’Argenville, du jardinage et de l’hydraulique ; l’ingénieur Bellin, de la marine ; le docteur Tarin, de l’anatomie et de la psychologie ; le célèbre Louis, de la chirurgie ; Malouin, de la chimie ; Blondel, de l’architecture ; J.-B. Leroy, de l’horlogerie et de la description des instruments astronomiques ; de Vandenessé, de la médecine pure ; Landois, des articles de peinture, de sculpture et de gravure. À cette liste, il faut ajouter Cahusac, Lemonnier, Falconnet, d’Hérouville, Morand, de Prades, Deslandes, Le Romain, Venelle, Rogeau, Prévost, Buisson, La Brassée, Donet, Borrat, Pichard, Bonnet, Laurent, Papillon, Fournier, Miel, Charpentier, Favre, Mabelle, Devienne, etc., qui, pour des travaux de moindre importance, devaient apporter à l’œuvre commune le concours de leurs lumières et de leur talent. La grammaire et la philologie étaient confiées à Dumarsais, ce savant célèbre qui avait adressé cette question à un grand seigneur qui lui proposait l’éducation de ses enfants : « Dans quelle religion faudra-t-il que je les élève ? » Voilà les hommes dont Diderot s’était entouré pour édifier l’Encyclopédie. Il nous semble, à un demi-siècle de distance et dans un autre ordre d’idées, assister à l’épopée impériale, et voir la grande figure de Napoléon en compagnie de Kléber, Desaix, Masséna, Lannes, Ney, Murat, Berthier, Augereau, Moncey, Davoust, le prince Eugène, Soult, Bernadotte. Seulement, ici, la force s’appelle le canon ; là, c’était l’artillerie autrement irrésistible de la pensée.

Parlons encore un peu de Diderot, avant de montrer ce géant dans l’accomplissement de ses immortels travaux. C’était une tête vraiment extraordinaire que celle de ce puissant penseur. Dans un jour de découragement et d’orgueil, J.-J. Rousseau s’écria que la nature avait brisé le moule dans lequel elle l’avait fait. Ce mot s’appliquerait plus justement encore à Diderot. Il ne ressemblait à aucun autre, et aucun autre peut-être ne lui ressemblera. Lui seul, dans son siècle, avait une trempe d’âme et de génie assez forte pour ne pas succomber sous le poids d’une tâche aussi pesante, et qui l’occupa sans l’absorber pendant près de trente années. Initié à toutes les sciences de son temps, doué d’une incroyable puissance d’intuition qui lui permettait d’apprendre avec rapidité ce qu’il ignorait, possédant une facilité merveilleuse de parole et de style, une fécondité et une facilité presque sans exemple, il n’était étranger à aucune des idées que peuvent embrasser les connaissances humaines. Mécanique, géométrie, mathématiques, philosophie, théologie, morale, recherches d’érudition, arts, musique, poésie, théâtre, métaphysique, philologie, tout était de son domaine. Les contemporains ne pouvaient se lasser d’admirer la puissance de ce cerveau toujours en travail de conception et d’enfantement. « C’était, dit Grimm, la tête la plus naturellement encyclopédique qui ait peut-être jamais existé. Métaphysique subtile, calcul profond, recherches d’érudition, conception poétique, goût des arts et de l’antiquité ; quelque divers que fussent tous ces objets, son attention s’y attachait avec la même énergie, avec le même intérêt, avec la même facilité. » De son côté, Voltaire écrivait à Thiriot (19 nov. 1760) : « Tout est dans la sphère d’activité de son génie ; il passe des hauteurs de la métaphysique au métier d’un tisserand, et de là il va au théâtre. » On connaît aussi ce beau mot des Confessions, nobles paroles d’un ennemi resté impartial : « À la distance de quelques siècles du moment où il a vécu, Diderot paraîtra un homme prodigieux ; on regardera de loin cette tête universelle comme nous considérons aujourd’hui la tête des Platon et des Aristote. » Avec un tel génie, il lui fallut encore une persévérance et un courage inébranlables pour diriger et mener à bien une aussi vaste et aussi difficile entreprise, braver les clameurs, les injures, les menaces, les dénonciations, et risquer vingt fois la perte de sa liberté et peut-être même de sa vie.

Outre ses talents incomparables et son énergie morale, Diderot se recommandait encore par la noblesse du caractère : bon, sensible, généreux, passionné pour sa famille et ses amis ; accueillant, consolant et assistant de sa plume ou de sa bourse tous les malheureux, connus ou inconnus, qui se présentaient à lui ; pleurant à la vue ou au récit d’une belle action, à la lecture d’une belle page ; l’âme ouverte à tous les enthousiasmes et à toutes les nobles pensées ; simple dans ses mœurs, pauvre et content de sa pauvreté, sans ambition, sans envie, et réalisant dans une certaine mesure l’idéal du philosophe et de l’homme de bien. Dans le commerce de la vie, il se faisait aimer par toutes les qualités qui le distinguaient comme écrivain : un abandon plein de charme, la naïveté, la bonhomie, la sincérité des sentiments, l’élan, l’enthousiasme, la spontanéité, la verve inépuisable, l’originalité et l’éloquence. J.-J. Rousseau ne pouvait s’en détacher ; Diderot exerçait sur lui, comme Rousseau l’a écrit lui-même, une sorte de fascination. Leur amitié dura près de trente ans, et l’ours de Genève ne se sépara de Diderot qu’après avoir rompu en visière avec tout le genre humain.

La facilité plus que généreuse avec laquelle Diderot mettait sa plume, son génie et son temps au service de tous ceux qui venaient le solliciter est demeurée célèbre, et l’histoire de la littérature n’en offre pas un pareil exemple. Morceaux de critique, de philosophie, sermons, dissertations de peinture, de sculpture, de musique ; discours, épîtres dédicatoires : on obtenait tout de son infatigable complaisance. Souvent victime d’intrigants, de fripons et même d’espions, il ne se lassa jamais de rendre service au premier venu qui l’implorait ou qui l’exploitait. On sait aujourd’hui qu’il écrivit pour son ami Raynal une bonne partie de l’Histoire philosophique des Indes. Effrayé lui-même des traits brûlants qu’il répandait dans cet ouvrage : « Qui osera signer cela ? disait-il à Raynal. — Moi, moi, répondait l’abbé ; et allez toujours. » Grimm, qui