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XV
PRÉFACE.


ploie, ainsi que les abréviations qu’il accumule, sont un véritable grimoire pour celui qui cherche les différentes acceptions. Boiste a fait une sorte d’anatomie lexicographique ; son squelette est complet, il n’y manque ni un nerf, ni un tendon, ni une articulation ; mais la moelle, le sang, la chair, la vie enfin, y font complètement défaut.

Boiste était un esprit frondeur et parfois gaulois ; beaucoup de ses exemples lui appartiennent ; ils sont courts, nets, incisifs, et ont toutes les qualités du multa paucis. Ajoutons que le lexicographe nourrissait au fond du cœur un vieux levain de libéralisme qui en faisait un des boudeurs et des idéologues de l’empire, et cela, joint à l’abus des signes quasi hiéroglyphiques qui entrent dans son système d’abréviations, lui causa un jour un désagrément qui ne saurait mieux trouver sa place que dans une préface de dictionnaire, chose peu réjouissante par elle-même.

Un matin de l’année 1805, un agent de police se présente chez Boiste, et lui exhibe un mandat d’amener qu’il était chargé d’exécuter. La résistance n’était pas possible ; Boiste s’habille en toute hâte et se met à la disposition de l’agent, qui le fait monter dans un fiacre et le conduit à l’hôtel de Fouché, chef de la police impériale. Lorsque Boiste fut introduit, le ministre était dans un grand état d’exaspération, et il adressa au lexicographe les plus violentes apostrophes, l’accusant d’avoir outragé l’Empereur. Boiste, stupéfait, ne sait d’abord que répondre ; cependant, il se rassure un peu et fait observer au terrible ministre qu’il n’est qu’un pauvre grammairien et qu’il ne s’est jamais occupé de politique. Le ministre s’irrite, et, pour confondre Boiste, il lui fait lire dans son propre dictionnaire :

SPOLIATEUR, qui dépouille, qui vole — trice : loi — Bonaparte.

Tel était l’article qui outrageait la majesté impériale. On avait persuadé à Fouché que les qualifications injurieuses qui accompagnent le mot spoliateur s’appliquaient au nom de Bonaparte, tandis que l’auteur voulait simplement indiquer que Bonaparte avait consacré l’expression de spoliateur, et surtout celle du féminin, dans un discours public.

Quand il comprit la portée de l’accusation, le pauvre lexicographe demeura si atterré qu’il ne put rien répondre. Il fut alors emmené et écroué à la Conciergerie par ordre du ministre. En vain plusieurs amis de Boiste se présentèrent chez Fouché pour lui soumettre des observations : il resta inflexible. Mais deux membres de l’Institut s’adressèrent directement à l’Empereur, qui accueillit ses confrères avec bonté et dépêcha aussitôt à la Conciergerie un aide de camp, avec ordre de faire mettre immédiatement le prisonnier en liberté. Fouché, averti par un de ses agents du contre-ordre impérial, relut l’article incendiaire avec plus d’attention et reconnut immédiatement sa méprise. Il eût bien voulu conserver secret ce petit incident, mais Napoléon n’était pas homme à manquer une si belle occasion de s’égayer un peu aux dépens d’un ministre dont il utilisait les services, mais qu’il méprisait au fond du cœur, et, le soir, il eut soin de le féliciter publiquement, au milieu d’une réunion officielle, sur son zèle éclairé. L’anecdote fit pendant quelques jours les frais des petites conversations à la cour et à la ville, et elle amusa tout le monde, y compris Boiste lui-même, qui la racontait très-plaisamment.

Dictionnaire universel de la langue française, avec la prononciation figurée ; 1813, 2 vol. grand in-8o, par Gattel. Cet ouvrage fut très-favorablement accueilli dès son apparition ; il rectifiait, sur un grand nombre de points, celui de l’Académie, qui s’obstinait à ne rien publier dans son majestueux silence, et qui devait encore apporter un délai de plus de vingt années à faire paraître son édition de 1835, si impatiemment attendue, et dont la lente élaboration rappelait trop souvent l’épigramme de Boisrobert :

… Tous ensemble ils ne font rien qui vaille.
Depuis dix ans dessus l’F on travaille,
Et le destin m’auroit fort obligé
S’il m’avoit dit : Tu vivras jusqu’au G.

Tandis que les quarante immortels sommeillaient paisiblement dans leurs fauteuils, de laborieux lexicographes se mettaient courageusement à l’œuvre, et Gattel doit être rangé parmi ces consciencieux travailleurs.

Nouveau Dictionnaire de la langue française, où l’on trouve tous les mots de la tangue usuelle, les étymologies, l’explication détaillée des synonymes, etc., par Laveaux ; 1820, 2 vol. in-4o. Laveaux était un philologue érudit, un savant lexicographe. Ses définitions sont claires, succinctes ; sa nomenclature est plus considérable que celle de l’Académie ; toutefois les détails qui concernent les animaux et les plantes n’appartiennent guère qu’à l’histoire naturelle pure, et ont une étendue qui est en disproportion avec la partie linguistique proprement dite ; ses exemples sont très-multipliés ; mais ce qui distingue particulièrement cet ouvrage, c’est un tact grammatical remarquable. Le même grammairien a composé un Dictionnaire des difficultés de la langue française, dont la librairie Hachette a donné, en 1847, une nouvelle édition revue avec un grand soin par M— Marty-Laveaux, son petit-fils. Aujourd’hui encore, ce dernier ouvrage, qui n’a pas vieilli, est un des meilleurs traités qui aient été composés sur les nombreuses anomalies de notre idiome national. Laveaux était un travailleur