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XIII
PRÉFACE.

Le bon La Fontaine lui-même se fourvoya dans cette bagarre. Il en voulait à Furetière pour deux raisons : celui-ci l’avait appelé jetonnier, et lui avait reproché de ne pas savoir distinguer le bois en grume du bois marmenteau, lui qui avait été officier des eaux et forêts. Notre fabuliste laissa pour un instant se débattre ensemble les rats et les belettes, et décocha contre Furetière la flèche suivante :

Toy, qui de tout as connoissance entière,
       Escoute, ami Furetière :
       Lorsque certaines gens,
Pour se venger de tes dits outrageants,
Frappoient sur toy comme sur une enclume,
Avec un bois porté sous le manteau ;
    Dis-moy si c’étoit bois en grume,
    Ou si c’étoit bois marmenteau.

L’épigramme était plaisante, mais le bonhomme la paya cher :

   Ça, disons-nous tous deux nos méritez :
   Il est du bois de plus d’une manière ;
Je n’ay jamais senti celuy que vous citez ;
          Notre ressemblance est entière,
Car vous ne sentez point celuy que vous portez.

Dictionnaire étymologique, ou Origines de la langue françoise, par Ménage ; 1650, in-4o ; 1694, in-fo. Cet ouvrage, qui jouit d’une grande réputation du vivant et même longtemps après la mort de l’auteur, est aujourd’hui de moins en moins consulté par les savants. Ménage avait plus d’esprit que de jugement. Comme tous les étymologistes qui l’avaient précédé, il partait de cette idée fort juste que la fantaisie n’a pas présidé à la formation des mots, et, comme il possédait parfaitement le latin, le grec, l’italien, l’espagnol et le français, il s’obstinait à trouver dans ces seules sources la raison pour ainsi dire mathématique de tous les termes de notre langue, laissant de côté le celtique et, à plus forte raison, le sanscrit, duquel, à l’époque où il vivait, on ignorait jusqu’à l’existence. Aussi, parmi ses étymologies, en compte-t-on un grand nombre qui ne sont que des suppositions plus ou moins ingénieuses, où la science étymologique n’a presque rien à voir. Un mot étant donné à Ménage, il le passait à son laminoir en disant :

Et si vous n’en sortez, vous devez en sortir.

On comprend qu’une telle méthode devait amener des épigrammes dans le genre de celle-ci du chevalier de Cailly :

Alfana vient d’equus, sans doute ;
Mais il faut avouer aussi
Qu’en venant de là jusqu’ici,
Il a bien changé sur la route.

Dictionnaire français, contenant les mots et les choses, des remarques sur la langue et les termes des arts et des sciences, par Richelet, Genève, 1680. Ce livre est un des plus anciens monuments élevés en l’honneur de la langue française. À cette époque où notre idiome, après un laborieux enfantement de dix siècles, venait de briser le rude cocon qui l’enveloppait, un grand nombre d’esprits éclairés ne dédaignaient pas de concentrer toute leur activité sur de simples questions de philologie. Richelet était précisément une nature de cette trempe : savant grammairien, chercheur infatigable, habile dans la langue française, les langues anciennes, l’espagnol et l’italien. Son esprit, porté à la satire et au genre burlesque, se trouvait à l’aise dans la composition d’un ouvrage qui devait passer en revue tous les mots de la langue. Son dictionnaire est rempli de gaillardises, d’expressions triviales, de traits satiriques et même d’obscénités. Son humeur caustique lui avait créé beaucoup d’ennemis ; son dictionnaire lui procura les moyens de s’en venger. Les plus maltraités sont Amelot de la Houssaye, Furetière et Varillas. Comme il avait été chassé de Grenoble à coups de bâton, à la suite d’un repas chez le président de Boissieu, où il s’était moqué de tous les convives, il écrivit dans son dictionnaire : « Les Normands seraient les plus méchantes gens du monde s’il n’y avait pas de Dauphinois. » Quand on parcourt les colonnes de ce lexique, il semble que l’on assiste à un repas auquel l’amphitryon a convié tous ses ennemis pour les empoisonner et s’en débarrasser d’un seul coup. C’est dire que le dictionnaire de Richelet était une sorte de curiosité, de friandise très-recherchée.

L’imprimeur genevois Widerhold en avait fait transporter secrètement quinze cents exemplaires à Villejuif, et il avait confié ce secret à Simon Bénard, libraire à Paris, rue Saint-Jacques. Celui-ci s’empressa d’en informer le syndic, qui fit saisir et brûler tous les exemplaires. Widerhold en mourut de chagrin trois jours après ; mais le lendemain, en sortant de l’église Saint-Benoît, Bénard était poignardé par un inconnu qui s’échappa dans la foule.

Aujourd’hui les dictionnaires n’ont plus le privilège de passionner à ce point les esprits ; c’est un honneur réservé à nos