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Je ne puis vous dire, ma chère demoiselle, l’effet que produisit en moi cette phrase. Mes yeux se troublèrent, je me crus dans un nuage de fumée… Tout ce qui m’environnait, les meubles, les chaises, tournaient. Le prince, l’excellence, le marquis sautaient depuis le tapis jusqu’aux corniches dorées ; j’entendais un bourdonnement comme si j’eusse été dans une ruche d’abeilles ! puis il me semblait que les cloches sonnaient, enfin je ne vis plus et n’entendis plus rien. Je ne sais pas si j’ai dit quelque chose, mais je crois n’avoir ni bougé ni parlé. Peu à peu pourtant mon trouble se dissipa, et quand je fus remise, le marquis et l’excellence avaient disparu. J’étais seule avec le prince. Je le regardais et je ne pouvais pas lui parler. C’était mon père ! comprenez-vous ? mon père ! Cet homme, qui avait excité mon respect et mon admiration, n’était point seulement un noble, un grand seigneur, tout cela n’était rien pour moi, c’était mon père, voilà tout. Ce mot avait ébranlé tout mon être. Il faut avoir vécu seule sur cette terre où tout le monde a ses affections ; être élevée sans caresses, sans parents, pauvre objet sans nom qui marche ne sachant d’où il vient, et pourquoi Dieu l’a privé du bonheur qu’il donne aux autres, pour comprendre, mon amie, que ce jour a commencé ma vie. Je n’appartiens au monde que depuis le moment où j’ai senti le lien qui m’y at-