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que vous semblez prendre plaisir à mener une vie d’adepte de Sainte-Catherine : même antipathie pour les hommes, même passion pour l’étude ; vous mériteriez presque de finir vos jours sous la roue, comme l’auguste défunte, tant vous semblez dédaigner les dons que Dieu vous a prodigués… Avoir une figure impeccable comme la vôtre, une chevelure de Madone, une taille svelte et élégante et s’appliquer à cacher des trésors aussi incomparables, se plaire à se vêtir de robes à la mode de nos grand’mères, s’obstiner à tenir lissée en bandeaux, comme une pensionnaire de couvent, cette opulente chevelure dorée ; mais c’est faire injure à Dieu, c’est dédaigner Ses bontés, c’est mépriser Ses bienfaits ! Marraine ! Marraine ! vous êtes un blasphème vivant !

— Mais ma petite…

— Il n’y a pas de mais… Vous qui êtes une savante, qui vivez parmi les fleurs, les étudiez, respirez leurs parfums, admirez leur éclat, ne vous êtes-vous jamais demandé ce que seraient la nature et notre pauvre existence si les fleurs, par une sotte humilité, cachaient sous terre l’éclat de leur floraison, si elles entassaient leurs parfums dans leurs tiges et ne les laissaient jamais s’exhaler, si les oiseaux ne chantaient pas, si le soleil se cachait tout le jour pudiquement derrière les nuages ? Notre planète est une vallée de larmes qu’il faut s’appliquer à rendre le moins triste possible et chaque être pouvant contribuer à l’embellir doit fournir généreusement sa quote-part. Vous avez failli à ce devoir élémentaire, vertueuse marraine !

— Pourtant…

— Il n’y a pas de pourtant, pécheresse endurcie, vous étiez une rose resplendissante et vous vouliez cacher votre éclat, garder jalousement votre parfum, vous étiez un sourire et vous ne vouliez pas vous épanouir, vous êtes une admirable jeune fille et vous voulez cacher votre jeunesse et votre beauté !