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ses traits : en ce moment surtout où son arrivée jetait sur sa figure une expression de bonheur indicible, elle était délicieuse en dépit de ses habits surannés et de la gauche timidité qu’elle ne pouvait surmonter à se trouver en voiture de louage en compagnie d’une citadine. Yolande devinait, plutôt qu’elle ne la voyait, l’admirable chevelure dissimulée sous le chapeau depuis longtemps fané et passé de mode de sa cousine : elle devinait toute la fraîcheur et la jeunesse que cet accoutrement cherchait à cacher et que Mlle Laure ignorait elle-même. Et la petite espiègle en concluait que le mois de vacance qu’elle venait passer auprès de la recluse produirait peut-être des fruits inattendus, que la jeunesse et la gaîté sont communicatives et qu’il n’y a pas besoin de miracle pour rappeler à une femme riche et jeune encore qu’elle est fille de notre bonne grand’mère Ève.

Mais l’on était rendu à destination et comme un bon repas attendait la voyageuse on se mit à table.

— Et où travailles-tu, ma petite Yo ? demanda Mlle Laure en servant le potage.

— Ne vous l’ai-je pas dit dans mes lettres ? Je suis dactylographe chez Messieurs Beauparlant et Beauparlant, avocats et conseillers du Roi.

— Et ton travail consiste ?

— Faire la procédure, expédier la correspondance…

— C’est toi qui écris les lettres d’avocats ?

— C’est presque ma spécialité. Mes patrons en sont rendus à ne me donner que des notes ; ils ont tellement confiance en moi qu’ils ne me dictent plus leurs lettres.

— Et vous en envoyez beaucoup ?

— Une cinquantaine par jour.

— Cinquante !

— Au moins. J’en ai expédié une fois tout près de cinq cents en une seule journée. De