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Son salaire, sans être considérable, était plus que suffisant pour ses besoins ; il n’avait donc aucune inquiétude d’argent. Sa mère vivait avec lui et s’ingéniait à lui rendre la vie douce et agréable. Quand il entrait le midi ou le soir, le couvert l’attendait. Ses pantoufles, sa robe de chambre, son livre, ses cigares, tout était en place, prêt à le recevoir. Il était égoïstement heureux, libre, satisfait de son sort et si tranquille ?

Devant la réalisation d’un tel idéal de bonheur, de satisfaction personnelle et de paix, comment affronter l’aléa d’un mariage ?

Passe encore s’il eut été jeune ; mais il avait quarante ans… La jeunesse est l’âge des grandes folies, des emballements généreux elle aime l’incertain, les risques, le hasard, elle est toute remplie d’ardeurs idéalistes, elle frémit à l’appel du devoir ; mais quand on a dépassé trente-cinq ans, le « moi » égoïste, le « moi » qui depuis de longues années s’est habitué à ne s’occuper que de lui-même, à ne sacrifier que sur son propre autel, fait taire tout sentiment généreux.

Se marier ! Avoir à chaque instant de sa vie auprès de soi une femme qui vous parle toilettes, modes, puérilités, qui espionne vos moindres gestes, se moque de vos manies et s’applique à les contrecarrer… Avoir une femme… Avoir des enfants… Que de troubles, que d’ennuis, que de responsabilités !

Et notre ami était demeuré célibataire…

Mais… car il y avait un mais… certains soirs il se sentait déjà bien seul… Sa mère, cette bonne mère qui le dorlotait si tendrement, se faisait vieille, un jour elle lui manquerait et que deviendrait-il ? Par ailleurs, il commençait à en avoir assez de la société de ses jeunes amis ; on ne peut pas être éternellement Président d’un cercle de l’A.C.J.C., et un barbon devient ridicule en persistant à demeurer Préfet de la Congrégation des Jeunes. Et que sera-ce dans dix ans ?