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les quarante hivers qui avaient parsemé de fils d’argent sa chevelure jadis noire jais. Depuis quinze ans, il ne semblait pas avoir vieilli, ou du moins il tendait tous ses efforts à l’oublier et à le faire oublier aux autres. Il ne faudrait pas juger ce brave garçon d’après l’entrée tapageuse et quelque peu ridicule qu’il a faite dans notre récit. Ce n’est pas chaque jour qu’un dogue s’accroche à vos habits en tournant des yeux pleins de sang et vous montre les crocs ; et c’était peut-être la première fois de sa vie que Monsieur Hainault, Paul pour les intimes, sortait de son tempérament d’ordinaire si calme, si pondéré.

M. Hainault était comptable en chef dans une usine de chaussures de la ville. C’était un joli garçon brun, aux yeux noirs et étincelants, au teint sanguin, auquel on aurait donné à peine trente ans. Sa mise était recherchée et très soignée. Sa moustache toujours méticuleusement cirée, il portait avec élégance des habits coupés à la dernière mode, bien pressés, sans un faux pli, et avec cela, bon garçon aux manières affables et polies, d’une gaieté exubérante, d’un entrain inlassable, ce qui explique sa popularité parmi les jeunes gens de la ville : commis de banque, jeunes professionnels, fils de familles, commerçants à leurs débuts.

Il était de plus d’une parfaite éducation et avait reçu une instruction rare parmi ses collègues de la comptabilité.

Il avait fait un cours classique complet au collège de sa ville natale et ses études n’avaient été qu’une série de succès. Non seulement il avait été un élève brillant, mais aussi un élève modèle que Monsieur le Directeur citait toujours en exemple à ses condisciples.

Contrairement à l’attente de ses professeurs, toujours portés à voir l’appel de Dieu chez leurs élèves d’élite, Paul déclara ne se sentir aucune disposition pour le sacerdoce. Bien plus, il dédaigna de s’engager dans aucune de ces professions dites libérales et qui