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Mes patrons viennent de m’annoncer qu’ils me donnent un mois de vacances et que je pourrai laisser le bureau dès samedi midi mais encore une fois où le passer ce mois de congé ? Ce serait, n’est-ce pas, la pire des ironies que de me voir réduite, durant ces vacances à aller prendre le frais au Parc Jeanne-Mance, ou encore à aller admirer journellement le paon du Parc Lafontaine !

Je ruminais ces pensées, il y a quelques instants, et je me sentais une forte envie de pleurer quand, tout à coup, j’ai pensé à vous, — surtout n’allez pas croire que j’ai besoin d’être triste pour penser à vous, j’y pense continuellement : mais cependant, cette fois, je ne sais pas, c’était autrement que d’habitude — et je me suis demandée : « Ma petite Yo, supposons pour un instant que tu ne sois pas Yolande Perras, pauvre dactylographe, mais Mlle Laure Perrin, riche propriétaire, que ferais-tu ? » Et savez-vous ce que je me suis répondu ? Je ne sais si je dois vous le dire, c’est bien un peu délicat… si vous n’alliez pas penser comme je vous ai fait penser… Et cependant il le faut bien puisque c’est exprès que je vous écris… Donc je me suis répondu : « Mon Dieu qu’il doit faire chaud à Montréal ! Ces pauvres petites filles qui travaillent dans les bureaux, comme ces mois de chaleur doivent leur être durs ! Mais j’y songe, et ma petite Yolande, si mignonne, si gentille — vous savez, sans fausse honte et sans sotte humilité, je puis le dire, je suis très gentille — si bonne — oui, si bonne aussi — aura-t-elle sa vacance à la campagne ? Et si elle ne pouvait se donner ce plaisir ?… Si je l’invitais à venir passer un mois avec moi ! Je vais lui écrire immédiatement et l’inviter… »

Oui marraine, c’est ce que je me suis répondu, — en supposant toujours que j’étais vous… Malheureusement je n’étais toujours que moi, moi tout court et si vous ne venez pas à mon secours, je comprends bien qu’il