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le caressait désagréablement de ses petites pattes, il faisait un brusque mouvement du cou, ouvrait bien grande sa gueule rosée, aspirait l’air bruyamment et la pauvre audacieuse, entraînée par la tornade en miniature, allait s’enfouir dans la gorge rouge qui devait lui paraître un gouffre immense.

« Dors-tu, mon chien ? » dit Mademoiselle Laure en passant doucement sa main sur la tête soyeuse de l’animal. « Non, tu ne dormais pas ? Tu n’es donc pas dans ton assiette, mon brave Fidèle ? Depuis quelques jours tu n’es plus le même, tu deviens grincheux comme une vieille fille… Quoi ? Oui, je sais, ces jeunes gens du chalet des Francs-Coureurs t’ont pris en grippe, ils t’ont lancé des pierres, t’ont donné des coups de cannes… et parce qu’ils t’ont maltraité, tu deviens méchant pour tout le monde… oui pour tout le monde… tu deviens misanthrope mon vieux, tu copies les hommes dans ce qu’ils ont de moins noble : tu deviens injuste, vieux Fidèle !… Pourquoi, par exemple, toujours montrer les crocs à ce pauvre Monsieur Hainault ? Il ne t’a certainement pas lancé de pierres et quant aux coups de cannes, la distance qu’il met toujours entre toi et lui est un gage certain de son innocence. Pourquoi lui en vouloir alors ? Est-ce parce qu’il te craint ? Mais oui, vieux, tu prends des sentiments humains en vieillissant… »

Soudain, Fidèle fut sur pieds, aux arrêts. Sa physionomie se changea, il devint agressif et menaçant. À deux reprises, il huma l’air. Solidement arqué sur ses quatre pattes, il donna du cou, releva le museau et fit entendre un aboiement de défi.

« Paix, Fidèle, paix ! couche-toi, couche-toi te dis-je ! » Mais, pour la première fois peut-être, l’animal n’obéissait pas à la voix aimée et demeurait menaçant.

— Mademoiselle Perrin, une lettre pour vous.