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L’IRIS BLEU

nomie, à une somme exceptionnelle de travail, une administration intelligente, le Docteur était maintenant maître d’une fortune assez rondelette ; mais cette modeste aisance ainsi que la considération générale dont il jouissait, avaient été bien gagnées. Il s’était dépensé nuit et jour, ne refusant jamais d’accourir où ses services étaient requis, quelle que fût l’heure à laquelle on l’appelât, en quelque saison de l’année que ce fût, que les patients fussent pauvres ou riches, et bien souvent de généreuses aumônes par lui faites avaient été le seul paiement de ses services.

Monsieur Durand était un travailleur, il recevait toutes les publications de médecine du pays et celles de France, et chaque année il allait passer quelques semaines dans une des cliniques urbaines pour surveiller les progrès de son art.

— Monsieur le Curé, je prends votre fou…

— Et moi votre cavalier… Vous pionnez, mon cher Docteur… vous pionnez.

— Mais non, tenez, je fais échec au roi…

— Il n’est pas très dangereux votre échec au roi. Voyez, je couvre mon roi par ma tour…

— Vous croyez ? Eh bien ! je fais de nouveau échec au roi par mon cavalier…

— Oui, je vois, c’est à ma tour que vous en voulez… la situation se dessine… Allons au plus pressé… Je ramène mon cavalier au secours de mon roi.

— Je fais de nouveau échec par mon fou blanc…

— Saperlotte de saperlotte ! Je suis fichu comme la poule à Simon ! Je fais reculer Sa Majesté.

— Je prends la tour et fais échec au roi.

— Oui, oui, je vous vois venir !… Dites donc Docteur, si je prenais votre cavalier ?

— C’est là que je voulais vous amener, Monsieur le Curé, je fais échec par mon cavalier noir !…

— Oh ! la ! la ! la ! la ! la !… Eh bien ! je recule encore…

— Je fais échec et mat par ma reine !…

— Ça y est, je suis perdu ! Vous me donnerez bien ma revanche ?

— Il est huit heures, le courrier va arriver bientôt, fumons un cigare en attendant, aussitôt après l’avoir lu, vous aurez votre revanche.

Les deux amis venaient à peine d’allumer leurs cigares que le lourd marteau s’abattait sur la porte et la Mère Victoire apporta le courrier.

— Vous permettez Monsieur le Curé ? dit le Docteur en montrant quelques lettres qu’il venait de recevoir. Prenez les journaux en attendant.

Mais à peine eut-il jeté les yeux sur la première de ces lettres qu’il poussa une exclamation et devint horriblement pâle.

— Est-ce une mauvaise nouvelle ! interrogea le Curé.

— Très mauvaise, lisez vous-même, Monsieur le Curé, dit-il en lui passant la lettre.

Le Curé lut :

Québec, 16 septembre 1918.

« Bien cher cousin : —

C’est presqu’une mourante qui vous écrit. Le médecin qui vient de me quitter, m’a avoué la triste réalité, je n’ai plus que quelques jours à vivre ; d’ailleurs, depuis longtemps déjà, je sentais que le mal qui m’a frappée ne pardonnerait pas et mon sacrifice est généreusement fait.

Mais je ne suis pas seule et quand je ne serai plus, qui prendra soin de mon enfant, de ma petite Andrée chérie ?

Ai-je trop présumé de votre fraternelle amitié en songeant à vous ? Non, je sais que je puis avec confiance m’adresser à vous et vous prier de bien vouloir vous charger, lorsque je ne serai plus de ma petite fille, ma pauvre Andrée, qui sera désormais toute seule au monde si vous ne consentez pas à la recueillir auprès de vous et à me remplacer auprès d’elle. J’ai compris depuis longtemps quelle précieuse et ardente affection vous avez toujours eue pour moi, ce sera me la continuer que de la reporter sur la tête de la chère orpheline.

Venez cher cousin, venez bien vite, et si vous ne pouvez recevoir mon dernier soupir, acceptez ce legs, le plus précieux trésor que j’aie sur la terre, ma petite Andrée chérie.

Je vous envoie, cher cousin, les bénédictions d’une mourante.

« Hélène. »

— Monsieur le Curé, dit le Docteur, interrompant le silence qui avait suivi la lecture de la lettre voulez-vous avoir la bonté de téléphoner à St-Hyacinthe, et demander s’il y a encore un train pour Québec, ce soir. Et vous Victoire, préparez-moi bien vite mes habits de voyage.

Le curé revenait du téléphone. « Vous avez un train à neuf heures et cinq, mais il est quelque peu en retard, et si vous prenez un auto, vous arriverez à temps. Je vais aller dire à Pierre Nolin de vous y conduire. »

Dix minutes plus tard, l’automobile attendait à la porte.