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L’IRIS BLEU

petite couchette d’enfant et se mit en devoir de faire l’installation de la chambre de la chère orpheline.

« Les chambres d’enfant, il faut que ce soit gai », se dit-elle, et elle fit apporter du magasin des rouleaux de papier-tenture avec dessins fantaisistes pour en couvrir les murs de la chambre de la petite Andrée. Et puis comme ce pauvre Docteur oublierait certainement de lui apporter ses joujoux, elle choisit la plus belle poupée que le marchand put lui fournir et veilla jusqu’à minuit pour lui confectionner des robes. Et ce fut durant deux jours une sélection de jouets d’enfants comme jamais le village n’en avait vue et que la brave femme accumulait pour sa chère petite Andrée. « Je ne veux pas qu’elle s’ennuie, cette petite, elle est bien assez malheureuse d’être orpheline. »

Enfin, le grand jour arriva, Victoire, toute remplie d’impatience, attendait le Docteur et sa petite protégée.

Les voisins avaient eu vent de ses longs préparatifs et n’étaient pas moins anxieux qu’elle. Enfin, des pas résonnèrent sur le perron et la ménagère s’empressa d’aller ouvrir, les bras grands ouverts pour y recevoir l’orpheline, mais quelle ne fut pas sa surprise en apercevant au bras du Docteur, une belle Demoiselle d’une vingtaine d’années.

« Ma chère Victoire, je te présente Mademoiselle Andrée Deshaies, qui vient demeurer avec nous.

Comment, la petite Andrée… c’est Mademoiselle ?

— Mais certainement Victoire, as-tu préparé sa chambre ?…

— Si, j’ai… Mais Docteur, vous aviez dit « la petite Andrée »… J’avais cru… et c’est…

— Mais ! Victoire…

— Ô les hommes ! Ô les hommes ! Mon Dieu que c’est bête !…

— Comment ?

— Sainte Bénite, Docteur, on ne joue pas des tours pareils… Si vous m’aviez dit que Mademoiselle était… mais non vous dites la petite Andrée… et c’est… Enfin, vous m’excuserez, Mademoiselle, nous croyions, Monsieur le Curé et moi, que vous étiez une petite fille d’une dizaine d’années et nous avons fait nos préparatifs en conséquence…

— Tu as préparé une chambre d’enfants…

— Venez voir… Aussi, je vous le répète, Docteur, c’est votre faute, quand on amène une Demoiselle, on annonce pas « la petite Andrée ». Tenez voyez comme ç’aurait été gentil, si vous aviez été une petite fille… seulement, vous êtes trop grande !…

À la vue de la chambre avec son petit lit et la poupée bien parée, la figure de la jeune fille s’illumina d’un léger sourire, puis, touchée de l’embarras de la pauvre femme qui avait pourtant mis tout son cœur à l’enjolivement de la chambre, elle l’embrassa avec affection. « Merci pour la bonne pensée que vous avez eue, Madame. Depuis que je connais mon cousin, il a gagné toute mon affection et devant le trouble que vous vous êtes donné pour ensoleiller la vie de la petite orpheline que vous croyiez recevoir ce soir, je comprends que tout le bien qu’il m’a dit de vous n’était pas exagéré et que je vais vous aimer beaucoup ! »

— Heureusement, nous avons encore la chambre des visiteurs, si vous voulez me suivre, Mademoiselle.

— Docteur, Monsieur Pierre Marin se meurt, on est venu pour vous chercher, mais comme vous n’y étiez pas, on a fait venir un Docteur de St-Hyacinthe.

— Comment, Monsieur Marin ? J’y cours immédiatement. Vous donnerez à souper à cette pauvre Andrée, elle doit se mourir de faim.

— Mais quoi !… vous ne pouvez pas partir vous-mêmes sans souper, Monsieur le Docteur ! Allons, venez prendre une bouchée au moins. Puisque je vous ai dit qu’ils avaient fait venir un autre médecin. Quand vous allez revenir, mon souper va encore être froid !…

Mais sans se soucier des jérémiades de la brave femme, le Docteur Durand avait repris son chapeau et était sorti avec précipitation.

Lorsqu’il revint quelques heures plus tard, les deux femmes étaient couchées. Victoire avait tenu à border elle-même le lit de la jeune fille. Malgré sa première déconvenue elle sentait qu’elle l’aimait déjà cette belle Demoiselle qui semblait si bonne et si gentille et que sa grande douleur rendait encore plus intéressante.


CHAPITRE V


Prévenu par une lettre qu’il avait trouvée la veille à son arrivée à Montréal, Paul Lauzon reçut son ami à la descente du train, et la joie de retrouver ce compagnon des bons et des mauvais jours vint faire diversion à la mélancolie à laquelle Yves était en proie depuis quelques jours.

Après les premières effusions passées, les deux jeunes gens se rendirent à la demeure de notre ami, où après un brin de toilette, ils