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L’IRIS BLEU

s’étaient retirés à l’écart, « Merci d’être accourus à mon chevet mes bons amis. Je regrette Docteur que votre science soit impuissante je constate que j’aurai été votre plus mauvais client ; je suis comme les pins des forêts, les maladies ordinaires ne les affectent pas, il n’y a que la foudre et la hache du bûcheron qui les terrassent Monsieur le Curé, voulez-vous dire le chapelet, je me sens plus faible.

Dans le silence solennel de la chambre mortuaire, la voix du prêtre s’éleva : « Je crois en Dieu, le Père Tout Puissant, Créateur du Ciel et de la Terre… » À laquelle répondaient les assistants recueillis, la voix du malade, toujours de plus en plus faible se mêlant à cette prière. Le Docteur qui s’était approché du lit surveillait les progrès de la mort. Et de tous ces cœurs simples, montaient vers Dieu de sincères prières, suprême adieu à l’âme immortelle de ce fils de la glèbe.

« C’est fini !!! la mort a fait son œuvre, dit le Docteur. « Il n’a pas eu la moindre souffrance, ce fut comme la lampe qui s’éteint faute d’huile… » On jeta sur le cadavre un drap blanc en attendant la suprême toilette.

Ces événements s’étaient succédé avec une telle rapidité pour Yves, qu’il en était resté comme stupéfié. Cet oncle, cet humble artisan de la terre, comme il lui était soudain apparu grand dans la mort, comme jusqu’alors, il l’avait méconnu !

Il fut tiré de sa torpeur par le père Lambert qui venait lui demander ses ordres et offrir ses services. Revenu à la réalité cruelle, il pria le vieux serviteur d’agir à sa guise mais comme le vieillard restait perplexe, le Docteur et le Curé qui avaient compris son embarras vinrent se mettre courtoisement à la disposition du jeune homme et avec le concours de quelques voisins, le grand salon fut en moins d’une heure converti en une chapelle ardente au milieu de laquelle, sur un catafalque improvisé, reposait dans la calme tranquillité de la mort la dépouille de Pierre Marin.

Alors Yves pria Monsieur le Curé de réciter le chapelet et tous les assistants vinrent s’agenouiller dans la chambre mortuaire faisant monter vers Dieu leurs prières naïves.

— « Vous devez être fatigué, Monsieur Marin, dit le bon prêtre qui savait quelle course notre ami avait fournie depuis les forêts du nord jusqu’au pauvre village, pour répondre à l’appel suprême du vieil oncle. Il faut aller vous reposer, Monsieur le Docteur et moi veillerons votre oncle. »

Malgré sa fatigue, Yves ne se sentait pas sommeil, mais ne devait-il pas se rendre au dernier vœu du vieillard et prendre connaissance de ses deux testaments.

Lambert le conduisit dans la chambre de Pierre Marin et sortant avec vénération une petite boîte de fer-blanc, « Vous trouverez dans ce coffret ce que votre oncle vous a indiqué. Bonsoir Monsieur. »

Demeuré seul, Yves ouvrit le coffret, il ne contenait que deux enveloppes dont l’une volumineuse et l’autre très mince. Il ouvrit cette dernière, et lut : « Ceci est mon testament : Je recommande mon âme à Dieu, le priant de me recevoir au nombre de ses Bienheureux.

Je m’en rapporte à mon exécuteur testamentaire des frais de mon enterrement et des messes à être dites pour le repos de mon âme. Je donne tous mes biens meubles et immeubles à mon neveu, Yves Marin, l’instituant mon légataire universel et le nommant mon exécuteur testamentaire.

Pierre Marin »

C’était ce que le vieillard avait intitulé son testament légal. L’autre enveloppe devait contenir ce qu’il avait appelé son testament moral. Yves l’ouvrit avec recueillement, comme si toute l’âme de son oncle devait y être renfermée. Il lut :

« Bien cher Yves :

Il y a toujours eu dans notre famille une double tradition, depuis Pierre Marin, notre arrière grand-père, notaire royal et concessionnaire du domaine que je te laisse, l’aîné des fils a toujours été notaire et le cadet a hérité du domaine familial. La concession telle que faite à notre aïeul en 1672 par le Seigneur Pierre de St-Ours, comprenait exactement ce que je te lègue, mais depuis cette époque reculée, elle fut à plusieurs reprises morcelée. Mon père, à force de travail et d’économie, avait réussi à tout racheter, mais comme il avait une nombreuse famille, notre beau domaine fut de nouveau morcelé. Ton grand-oncle, Joseph, eut la terre douze, ton oncle Paul la terre quatorze, Jean la terre treize, ta tante Doré hérita du lot quinze, François eut les numéros huit, neuf et dix. J’étais le second et j’héritai de la maison paternelle et de ses dépendances. Quant à ton grand-père, suivant la tradition, il s’était fait notaire et hérita des propriétés de ville.

Depuis cette date, tes oncles Joseph, Jean, François et Paul vendirent leurs terres et émigrèrent aux États-Unis où ils moururent. Ta tante Doré vendit également la sienne pour aller demeurer à Montréal où elle mou-