Page:Larivière - L'associée silencieuse, 1925.djvu/80

Cette page n’est pas destinée à être corrigée.

78 . 7 Maintenant il était dehors, il aspirait for tcment l’air pur et frais du matin, et sans plus prenait sa course, tant pour se réchauf fer que pour savoir au plus tôt l’effroyable vérité. Il monta la place, franchit la rue Notre Dame, se jeta sur le Champ de Mars, dégrin gola l’escalier sur la rue Craig enfila l’avenue Hôtel de Ville, et toujours courant, sans rencontrer âme qui vive, le jeune homme arriva sur la rue Dcmontigny. Il ne s’arrêta que devant cette porte de l’étage supérieure c’est à dire devant la por te de l’atelier. Là, il attendit une second ?, pour se remettre de sa course et reprendre haleine, et il demeura palpitant, terrifie par la vision du spectacle qu’il s’attendait de voir. 11 essaya le bouton de la porte, douce ment, très doucement. La porte résista à sa poussée. Elle était fermée à clef, et ver rouillée par surcroit peut être ! C’était pour Al ban un répit ! Car il redoutait tant de se trouver en face du tableau lugubre que son imagination fiévreuse lui représentait. Oui, mais il ne pouvait toujours pas res ter là indéfiniment ! Il frappa légèrement et attendit. Aucun signe de vie à l’intérieur ! Son coeur faillit s’éteindre : le silence de cette maison était un silence de mort ! Mais il voulait voir ! Il voulait savoir ! Alban frappa de nouveau., plus fort un ]H‘U ! Une voix, qui lui parut lointaine et qu’il ne connaissait pas, demanda : —Qui est là ? Alban se sentit mourir. Vivement il se cramponna au bouton de la porte. —Ouvrez..je veux vous parler ! dit il d’une voix qu’il ne se reconnaissait plus. —Qui êtes vous* ? interrogea la même voix..mais une voix de femme. —Alban Buel... reporter ! La voix fit entendre une exclamation de surprise. —Vous venez pour la grande nouvelle ? La grande nouvelle !... Qu’est ce que cela voulait dire ? Si encore la voix avait prononcé : la terri ble nouvelle ! —Oui...répondit Alban à tout hasard. —C’est bon. Une minute...le temps de passer un peignoir. Grelottant de froid, le jeune homme a*, tendit environ cinq minutes. Puis, la porte en s’ouvrant encadra la silhouette d’un ? femme inconnue. C’était une grande femme avec un fort embonpoint, et d’en certain âge. Elle regarda curieusement le jeune hom me qui, tête nue. sans peletot, hagard fris sonnait devant elle. —Ou’est ce que c’est qque vous voulez sa voir au juste ? demanda t elle en ouvrant la porte davantage. Alors, l’oeil vitreux du journaliste scruta ardemment l’intérieur de l’atelier. Il vit que tout était dans un ordre parfait. Aucun cadavre là où il pensait en voir un ! Les mannequins étaient toujours là, mais ils étaient nus : les robes soyeuses avaient dispa ru. Il put voir encore le guéridon et sa petite lampe..la même petite lampe, les ma chines à coudre, la méridienne... Alors, un peu calmé, il demanda : -—Médine est elle là ? —Médine ! —Oui, mademoiselle Buchet ! —‘Mademoiselle Buchet ? Elle n’est pas ici ! —’Pas ici ! —Elle a vendu son atelier ! —Vendu... —Je suis la nouvelle propriétaire. —Mais... mademoiselle Buchet ? —Vous ne savez donc pas ?... Elle est ma riée ! —Mariée ! quand ? —Hier !... —Mais avec <jui ? —Avec le célébré criminaliste Jacques Au det ! —Mais c’est impossible ! —Cela est ainsi pourtant... —Mais quel jour sommes nous ? demanda Alban au comble de la stupéfaction. -—Vendredi. Dites donc, vous, d’où sortez vous ? —Vous dites, vendredi ? —’Puisque c’était jeudi hier ? —Jeudi.. .Sarah Bernhardt jouait LA TOS CA n’est ce pas ? —Oe soir, elle joue la Dame au Camélias. —Mais quel rêve affreux ai je doqc fait ? se demanda Alban dans un murmure. Puis, il s’excusa auprès de la femme, des cendit l’escalier sans, naturellement, aper cevoir le sourire moqueur de la nouvelle modiste, et s’en alla vers sa pension de la rue Saint Hubert. 11 s’en allait comme un homme ivre, ou mieux comme un somnambule. Il allait sans savoir l’esprit martelé par des pensées de folie. Il trouva sa chambre dans l’état où il l’avait laissée. Sur son lit il aperçut avec surprise son pardessus, son chapeau et sa canne. Il s’en étonna bien un peu. Mais sa tête était tellement malade, qu’il repous sa ces objets et se jeta sur le lit où il s’en dormit de suite du plus profond sommeil. VIII OU TOUT S’EXPLIQUE Alban Buel entendit qu’on frappait dans sa porte. Mais ce bruit lui sembla comme en un rêve. Il essaya d’ouvrir les yeux, mais ses paupières étaient si pesantes qu’il * ne parvint pas à les soulever. Il perçut même que sa porte était ouverte très doucement qu’un pas discret marchait dans sa cham bre. Il ne put sortir de sa torpeur. tMais quand il entendit sa porte se re fermer .alors il fit un effort et ouvrit les yeux. Sa chambre était éclarée pa rie grand jour. 11 se leva. Son premier regrad tomba de suite sur les taches de sang et les macules de boue. Mais alors il trassaillit fortement. Il marcha jusqu’à sa fenêtre et considéra avec une vive curiosité mêlés de stupeur les tâches de sang. —Ah ! ça, s’écria t il, ce n’est pas du sang ! Il examina plus attentivement les souillu