Page:Larivière - L'associée silencieuse, 1925.djvu/77

Cette page n’est pas destinée à être corrigée.

75 s’en apostrophait. Car alors sa raison revenait, renaissait ! Car alors seulement il était lâché par le mal d’amour ! Car alors.... Non... ce n’était pas possibles..ce qu’il voyait là, devant lui, à deux pas ! Alban s’était soudain interrompu au moment où son regard, par une tissure pratiquée dans les étoffes, découvrait, dans la pièce voisine, une scène qui le frappa d’hynoptisme. VI LE DRAME DE L’ATELIER Ah ! quelle vision atroce encore ! L’atelier était silencieux. A la clarté d’une veilleuse posée sur un guéridon tout dans cet atelier demeurait tel qu’Alban l’avait trouvé ce soir-là en venant à son rendez vous avec LA PETITE MODIS-TE. Mais était ce bien le même soir ? Il passa la main sur son front fiévreux. Mais il n’avait pas le temps de pénétrer bien avant dans ses souvenirs : devant lui une scène se déroulait, une scène si intéressante, si captivante qu’il n’en voulait perdre aucun détail. Oui...là sur cette méridienne sur laquelle il s’était lui même assis un moment, sur cette méridienne toujours entourée de ses mannequins revêtus des mêmes robes soyeuses qu’il avait admirées, oui, sur cette méridienne Alban apercevait un homme et une femme. Il remarqua, malgré la demi obscurité de la pièce, oui. il remarqua qu ? l’homme qui lui tournait le dos, avait 1 un de ses bras —le gauche— autour de la taille de la jeune femme. Car c’était une femme très jeune : Alban la voyait assez distinctement, il la reconnaissait aussi, et c’était là, sur cette même méridienne, que celte jeune femme, la veille de ce jour lui avait parlé d’amour ! C’était LA PETITE MODISTE.... avec ses beaux cheveux noirs et ses grands yeux brillants ! Elle souriait à 1 homme qui lui tenait certains propos., des propos d’amour assurément, car elle baissait les yeux, car elle rougissait. . .car elle ne résistait pas au bras de l’homme qui peu à peu l’attirait à lui ! Alban dévorait cette scène ! Et elle ne résistait pas, pas le moindrement, cette PETITE MODISTE que tout à coup il trouva divinement belle, au baiser mis longuement sur ses lèvres rouges par l’homme inconnu ! Mais cet homme, qui était-il ? La jalousie, encore une fois, mordait Alban jusqu’aux libres les plus reculées de son être. Ses dents grincèrent dans sa bouche. Et tremblant, suant, rugissant lui-même, il se mit à deux genoux ses mains retenant les tentures l’oeil enfoncé dans la fissure. Maintenant son regard jaloux se rivait durement sur l’homme dont il ne pouvait pas même apercevoir le prolil. Mais cet homme lui parut d’une stature plus haute que la moyenne. En y regardant de plus près, l’homme avait l’air d’un colosse. Les épaules étaient larges, le col gros et gras, la tête énorme, et cette tête dépassait d’au moins dix pouces celle de la jeune femme. Oui...quel était cet homme ? Il allait le savoir. Mais à cette seconde même les regards du jeune homme furent attirés par un objet singulier qui lançait sous la clarté de la petite lampe des reflets d’argent ! Ou’était-ce cet objet ? Alban se pencha davantage regarda

regarda .... H frissonna en constatant que cet objet était un revolver ! Pourquoi un revolver là ? Il se le demanda avec une excessive curiosité. Est-ce que LA PETITE MODISTE avait envie de tuer quelqu’un ? 11 se mit à rire. —‘Mourir de sa main, serait une mort plutôt douce ! se dit il avec ironie. Mais l’image de 1 inconnu, de l’amant demeurait toujours entre lui et Elle ! Il tressauta quand il vit LA PETITE MO-DISTE de ses deux bras blancs entourer le cou de l’homme et attirer celui-ci à elle.... quand il l’aperçut poser ses lèvres— ses belles lèvres sur lesquelles Alban aurait bu l’ivresse jusqu’à la mort !— oui, quand il la vit poser ses lèvres rouges sur les lèvres de l’autre ! Et quand il entendit retentir le baiser ! Ce tut sur la tête du reporter un coup de massue ! —Ah ! c’en est trop ! rugit-il. 11 allait se dresser... il allait peut-être passer au travers de ce mur, mais il se contint. Ou plutôt ce fut une force dont il ne fut pas maître qui le cloua sur place : car l’homme inconnu venait de se lever en riant très fort. Il le vit marcher dans la pièce comme s il eût voulu se dégourdir un peu : il le vit tirer d’une poche de son habit un étui à cigarettes. Cet étui, il le présenta à la jeune femme qui choisit une cigarette, l’alluma avec une grâce et une expertise incontestables pour jeter ensuite, et en riant à gorge déployée, une bouffée de fumé ? blanche au nez (le son amant. Oui, Alban vit tout cela. Il vit encore l’amant allumer une cigarette à son tour, rire aussi, lancer une spirale bleue au plafond, pivoter et s’écrier : —Vous êtes une fée, Médine ! Mais alors l’homme fît face à Alban ! LHOMME !... iMais ce n’était pas possible ! Non !

Quoi ! Alban était-il pris par 1’ invincible et redoutable cauchemar ’ ? Mais cet homme... mais ce colosse .... Mais cette brute à barbe noire glissant en fleuve... mais cette moustache rouge !... Cette fois Alban bondit. Il jeta un cri, un rugissement, un blasphème et se lança contre le mur. 11 se produisit un crac, une porte vola en éclats, et le petit reporter alla s’écraser sur le plancher de l’atelier. Mais il se releva, le front sanglant, terrible, menaçant pour marcher sur la jeune femme qui reculait épouvantée !