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74 trois de ces machines.. .peut-être quatre tout au plus ! N importe il allait s’en assurer. Tout doucement il se leva. ‘Mais alors il se sentit très courbaturé.. .il gémit ! Une étourdissement lui lit voir des lueurs fugitives... de la main il se retint au bord du lit. Non ce n’était pas un lit ; c’était un sofa un divan quelconque.. .c’était peut-être une ottomane ! Quoi ! se trouvait-il encore dans le boudoir vert ? Allait-il revoir LA FEMME D’OR ? (les coussins moelleux que sa main tripotait, il lui semblait en reconnaître le tissu qui les recouvrait !

Et il se rappelait cette scène d’amour 

avec LA FEMME D’OR, dans la même obscurité ! Et cette obscurité lui paraissait pénétrée des mêmes parfums puissants qui l’avait enivré autant que les paroles de feu de LA FEMME D’OR ! —■Ah ! si j’avais des allumettes ! Qu’importe ! il fallait voir ! En tâtonnant il se dirigea vers le bruit des machines à coudre. Il heurta un mur, ses doigts s’accrochèrent à des étoffes. Vainement chercha-t il une porte ! Rien... mais les machines allaient... Il eut un vertige. Allait-il appeler ? Il n’osa pas, retenu par une gêne que sa volonté—en avait-il encore ? ne pouvait sur monter. Il voulut réagir contre une telle faiblesse, mais une terrible défaillance l’abattit sur le plancher. Il se releva. —Oh ! ma tête ! ma tête ! gémit-il en portant ses deux mains à son front. 11 demeura ainsi, immobile, écoutant les machines à coudre. —Oh ! ces maudites machines ! grinça t-il. Finalement il s’enrageait. Quoi tenter dans cette noirceur ? Il se décida d’appeler.. .il verrait bien ensuite ! Et il jeta un cri.. .mais un cri de désespoir dont il eut peur lui-même ! Si peur <pj’il tomba... et il tomba sur la couchette uo le divan qu’il venait de quitter. Sans Je savoir il y était revenu ! .Mais à son cri le bruit des machines s’était tu. Un lourd silence plana pour une minute. •Puis soudain, une lumière brilla, et Alban Ruel se vit dans un joli boudoir tendu de bleu azur. Au même moment il revit la jolie couturière avec sa robe soie bleue, ses bas roses et ses petits souliers de satin noir. Il frémit. Souriante, la jeune fille était apparue entre deux tentures qu’elle avait écartées de ses mains fines. —Vous m’avez appelée ? edmanda t-elle. D’un oeil stupide le journaliste la regarda. —Vous sentez-vous mieux ? interrogea en core la belle enafnt. —Oui.. .un peu... répondit AI ban qui, par un effort inouï, essayait de retrouver ses esprits. —J’ai pensé qu’un peu de repos vous ferait du bien, dit la jeune fille. —Vous vous intéressez un peu à moi ? demanda Alban avec un sourire maladif. —Un peu !... Pourquoi ne dites-vous pas beaucoup ? —Est-ce vrai ? Alban retrouvait tout à coup du sang, du coeur et de l’audace. —N’en avez-vous pas la preuve ? —Oui., merci. Ah ! je vous devrai beaucoup. . peut être plus que je ne pourria payer ! —Bah ! pour un service... •—Un service, dites-vous ? Il n’y avait pas autre chose pour vous guider dans une action si charitable ? —Il y avait peut être un peu de pitié ! —De la pitié ! Alban se mit à rire avec sarcasme. A quoi pensez-vous et pourquoi riez vous ainsi ? —(Pourquoi ? Mon Dieu ! le sais-je seule ment ? Je pensais qu’il y avait un peu d’amitié entre vous et moi ! —De l’amitié ? Je voulais dire...de l’amour ! —De l’amour !...La jeune fille devint très grave. Elle se renfonça dans les tentures . —Quoi ! je vous fais encore peur ? —C’est votre langage singulier ! Un langage d’amour... vous appelez ça singulier, vous ? Alban s’était levé, repris par le même mal d’amour. C’était plus fort que lui devant la fée don til avait rêvé ! Mais elle, d’un geste grave, l’arrêta. —Rasseyez vous ! commanda t-elle. Vous êtse très malade. —Allons donc ! je me sens très fort ! —C’est une illusion. —«Comme un rêve d’amour ? fit Alban en éclatant de rire. —Encore ? s’écria la jeune fille avec plus de gravité. —Toujours ! ma belle enfant. Quoi ! je t’aime, ne le vois-tu pas ? —Ah ! vous m’aimez ? —Je veux t’aimer ! —Vous voulez... —Je te veux...je te veux pour ma femme. . .ma petite femme ! Alban s’exprimait comme un homme ivre. De fait, il chancelait sur ses jambes, ses lèvres breduoillatent et tout son masque conservait un air stupide comme en imprima sur beaucoup de victimes la puissance de l’alcool. La jeune fille demanda ; —Voulez-vous vous asseoir ? C’était plu tôt un ordre impérieux. Alban continua de rire d’un rire idiot. Puis, il exécuta un bond dans la direction de la jeune fille, les mains tendues en avant. .Mais l’obscurité se fit aussitôt, et le petit reporter alla donner de la tête contre un mur solide. Il s’écrasa pantelant. Néanmoins, ce heurt parut le rappeler à lui même, le dégriser pour ainsi dire. Il se releva lentement avec cette pensée unique : —M’en aller d’ici !... Oui, je suis en train de faire un bouffon de moi ! Le mot qu’il avait appliqué à son ami Jacques Auedt lui revenait à son insu, et il