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L’ASSOCIÉE SILENCIEUSE

mauvais angle, dans ce qu’elle a de laid, de triste et de délétère…

— Et maintenant ?…

— Maintenant j’ai retrouvé mon âme de vingt ans…

— Et c’est au contact de votre ville natale, de la vie des vôtres, que ce miracle s’est opéré ?

Il allait répondre en un élan sincère et vibrant : « C’est depuis que je vous ai connue, depuis que j’ai découvert le trésor de courage, de dévouement et de pure jeunesse que vous êtes, que mon âme a retrouvé sa foi en ses semblables, son désir de bien, sa soif d’idéal… c’est au contact de votre âme si douce, si sincères, si suave de fraîcheur et de vérité que mon propre cœur s’est purifié ! C’est que, depuis mon arrivée ici, j’ai connu le plus grand bien terrestre qu’il soit départi à l’homme, un bien sans lequel, fortune, gloire, renommée et honneurs ne sont que des leurres : l’amour ! Je vous aime, Alberte, je vous aime de toute la force de mon être, je vous aime de toute l’ardeur de mon cœur, de ce pauvre cœur si longtemps comprimé, ce cœur qui jamais encore n’a battu et que Dieu, en son infinie bonté, a gardé libre de toute attache afin que je puisse un jour le consacrer tout entier à vous aimer, que seule votre douce image en fasse le joyau, que je puisse sans crainte vous en déclarer reine absolue et sans partage… Je vous aime pour votre affectueuse bonté, pour votre angélique beauté, pour votre âme pure et chaste, pour votre esprit, pour toutes ces qualités que je découvre chaque jour en vous… Je vous… aime…

Mais il se rappela la promesse faite à Ghislaine et… ne dit rien.

Cependant dans son regard ardent, la jeune fille avait lu ce que ses lèvres n’avaient pas osé prononcer et à son tour, Étienne découvrit en ses grands yeux tout un poème de bonheur et de reconnaissance.

Comme les yeux savent souvent parler quand les lèvres s’abstiennent à rester closes !

— « Petite Mère », tu n’as pas félicité Monsieur Normand de son article !

— Ce n’est pas seulement des félicitations que nous devons lui adresser, c’est aussi des remerciements… Tant de gens prennent plaisir à nous calomnier… En somme, continua Alice, qui vint s’asseoir avec les jeunes gens, Monsieur Normand n’a dit que la vérité… Mais encore, fallait-il avoir le courage de l’exprimer cette vérité…

— Et vous, Mademoiselle Alice, suivrez vous la ligne de conduite que j’ai tracée aux mascoutaines ?

— Jusqu’au mariage… mais je ne franchirai pas cette limite. J’ai fait œuvre de mère trop jeune pour ne pas coiffer Sainte-Catherine.

— D’ailleurs, nous sommes jaloux, nous tenons à la garder toute pour nous seuls, notre petite mère, dit Alberte.

— Et vous, Mademoiselle Alberte ?

— Quant à moi, j’espère bien suivre le programme jusqu’au bout, plus tard, quand Ovila sera établi. J’aime bien l’usine ; mais je considère que la destinée de la femme est d’être mère et je prie Dieu chaque soir qu’Il m’envoie alors un brave homme de mari dont je m’efforcerai de faire le bonheur.

— Et celui-là sera un heureux mortel !

— Il ne faut pas trop envier son sort… j’ai beaucoup de défauts…

Étienne ne répondit pas ; mais il se promit bien que dès le lendemain, il verrait sa mère et qu’il mettrait dans son plaidoyer pour le bonheur de sa vie tant d’ardeur et de feu que bientôt Alberte serait accueillie par elle comme une seconde fille.

CHAPITRE XI

L’ONDÉE.


Cette nuit, Étienne fit des rêves enchanteurs qu’égayait la radieuse figure souriante d’Alberte ; mais vers sept heures, les chaudes effluves du soleil matutinal vinrent le rendre à la réalité de la vie.

En faisant sa toilette, il songeait à l’entretien qu’il devait avoir avec sa mère, durant la journée et dont dépendait le bonheur de sa vie. Il lui faudrait certes user de beaucoup de précautions, faire venir les confidences de loin, il avait tellement peur de la chagriner… Et puis il redoutait son implacable logique, son esprit un peu froid et raisonneur, il savait qu’elle n’examinerait pas l’angoissante question au point de vue sentimental et que, dans ses conseils, elle allait lui parler raison… pure raison, froide raison et l’être habituellement le plus pondéré ne peut entendre raison quand il s’agit de question d’amour.

Après le déjeuner pris en famille, le jeune homme partit faire une promenade en canot espérant, durant ce répit qu’il accordait à ses confidences, pouvoir mieux raisonner des moyens à employer pour convaincre sa mère à ne pas s’opposer à son désir.

Mais deux heures plus tard, quand il rentra de sa longue excursion, il n’était pas plus avancé. Bah ! se dit-il, à la grâce de Dieu… et se dirigea vers le balcon où il venait d’apercevoir sa mère en train de lire.

Mais en traversant le hall, il aperçut sur une minuscule table où l’on entassait d’habitude livres, revues et journaux, une lettre à son adresse.

« Tiens, dit-il, en examinant la souscription, c’est de ce bon Louis ! Que diable doit-il me dire ? » et pressé de prendre communication de la lettre de son ami, il l’apporta dans sa chambre où, confortablement installé à sa table de travail, il l’ouvrit et lut : Mon cher client :

Eh oui ! mon vieux, que tu le veuilles, ou non, c’est le médecin et non l’ami qui t’écrit et crois en mon expérience de spécialiste en maladies nerveuses, c’est des conseils du médecin et non de l’ami que tu as besoin et quel besoin pressant, grand Dieu !

Je savais depuis longtemps que le bois sec n’enflambe que plus aisément et cependant, je dois te l’avouer, tu m’as quelque peu surpris… Comme tu y vas, mon cher ! Je t’avais averti du danger à courir ; mais dans ta suffisance orgueilleuse, tu as dédaigné mes avertissements et aujourd’hui… eh oui ! mon pauvre, autant te le dire franchement et