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L’ASSOCIÉE SILENCIEUSE

sives constructions de ses maisons d’éducation d’où, comme une pluie bienfaisante, se répand par tout le pays la force de la foi, l’ardeur du patriotisme et les lumières de la science ; mais surtout, il faut descendre dans la basse ville, champs d’énergie ignorée, de courage humble et souriant, visiter ses quartiers d’ouvriers aux maisons banales, sans art touchantes par leur simplicité mais si coquettement propres et que la verdure des vignes, des liserons et des fèves grimpantes décore de jeunesse et de vie.

On reproche souvent à Saint-Hyacinthe d’être retardataire, de ne pas suivre ses villes-sœurs dans la voie du progrès et de la prospérité. Cependant, n’est-elle pas la source même d’où est partie l’essence de toute notre prospérité rurale ? Peut-on oublier que Saint-Hyacinthe a été le berceau de l’industrie laitière ? Peut-on oublier aussi que c’est un génie mascoutain, aussi modeste que méritant, le regretté Monsieur Louis Côté, qui, par ses merveilleuses inventions, a complètement révolutionné l’industrie de la chaussure non seulement en notre pays, mais dans le monde entier ? A-t-on le droit d’ignorer que le séminaire de cette ville a été une pépinière d’homme célèbres qui, dans le domaine religieux, dans la politique, le barreau, la médecine, le journalisme, le commerce et l’industrie, ont, sur leurs diverses tribunes, clamé bien haut les revendications de notre nationalité, en ont imposé tant par leurs sciences et leur verbe ardent que par la droiture de leur vie et la sincérité de leurs convictions ?

Et ces nombreux couvents d’hommes et de femmes qui ont pris racine ici et, non satisfaits de l’œuvre admirable qu’ils y accomplissaient, ont étendu leurs rameaux bienfaisants de par tout le pays ?

Retardataire ! Oui, Saint-Hyacinthe l’est dans cette course effrénée vers la prospérité factice et postiche, vers les jouissances matérielles, vers l’assimilation et le cosmopolitisme… Et peut-on lui en faire un crime ?

Lorsque Monsieur Hyacinthe De Lorme achetait des frères de Vaudreuil la seigneurie de Saint-Hyacinthe pour la modique somme de quelques milliers d’écus et qu’il avouait candidement craindre avoir fait une mauvaise affaire, il devait être bien loin de se figurer que cette immense étendue de forêts encore vierges deviendrait en quelque sorte la Rome de la tradition française en Amérique et, cependant, quoiqu’en disent certains esprits hargneux, c’est bien cette furieuse destinée qui lui est lotie.

Alors que toutes les autres villes sont envahies par la foule pressée d’aventuriers de tous les pays, Saint-Hyacinthe est restée et restera longtemps encore, que dis-je, restera toujours exclusivement française… Elle marche à pas de tortue dans le sentier du progrès ; mais chacun de ses pas en avant compte double, car elle fait œuvre d’apôtre.

La population mascoutaine est paisible, douce, polie, affable, franchement croyante, exaltée de patriotisme. On lui reproche même d’être chauviniste ; mais en somme, le chauvinisme n’est-il pas l’amour de la patrie chauffé à blanc ?

Elle aime sa langue et la parle avec orgueil, sans se soucier de l’opinion des autres si bien que les rares étrangers qui viennent s’y établir se voient contraints de l’apprendre.

Ce qui charme tout particulièrement en étudiant la vie mascoutaine, c’est cet esprit de solidarité et de mutuelle confiance qui existe entre ses habitants, cette camaraderie qui règne entre eux.

Il est vrai qu’un jeune écrivain à la digestion par trop laborieuse et au tempérament bilieux, en mal d’esprit, a lancé la légende tout à fait gratuite de coteries, de distinction de classes qui d’après lui y existeraient mais à tout être normal le spectacle de la vie mascoutaine apparaît tout autre. Tous les gens y sont égaux et ont conscience de leur égalité.

Ce qui ne veut pas dire que toutes les classes de l’échelle sociale ne s’y rencontrent ; c’est même un descendant de la vieille noblesse terrienne, vénérable quinquagénaire, allié à cet Hyacinthe De Lorme qui donna son nom à la ville, qui représente avec une incomparable dignité la région mascoutaine au Sénat canadien.

La haute finance, l’industrie, les professions libérales y figurent avec honneur, le clergé y est très nombreux et distingué ; mais entre ces diverses classes plus fortunées et l’humble ouvrier qui peine six jour par semaine, règne une douce confraternité, une estime mutuelle, un respect dénué de toute bassesse qui harmonisent dans la paix et la concorde la vie de la petite ville et prennent leur source dans le sublime commandement que le Crucifié du Golgotha donnait à ses disciples : « Aimez-vous les uns les autres ».

Saint-Hyacinthe, petite ville française par excellence, apôtre de foi, de patriotisme et de science, fanatique du culte de la tradition nationale, n’en est pas moins une ville industrielle et, sur ce côté également, elle est un enseignement pour le pays entier.

J’ai cité l’industrie laitière qui, après avoir eu son berceau sur les bords de l’Yamaska, a étendu ses ramifications par toute la province, y répandant la prospérité et le bonheur ; mais que dire des autres industries mascoutaines ?

Les hommes d’affaires de Saint-Hyacinthe ont compris qu’un pays, quel qu’il soit, ne peut être exclusivement agricole ; que l’agriculture ne peut longtemps vivre et prospérer sans l’industrie qui en est le complément. Encore faut-il que cette industrie soit bien comprise pour être sage et durable, faut-il qu’elle soit nationale, c’est-à-dire, qu’elle tire sa matière première de la terre natale, seule véritable dispensatrice de toute prospérité ?

Ici, l’on fabrique, avec la matière première prise au pays, ou en très grande partie, la marchandise qui sera ensuite consommée au pays. L’industrie du bois, qui y est si prospère, ne tire aucune matière première de l’étranger, ce qui n’a pas empêché les fameuses orgues Casavant d’atteindre à la renommée mondiale. Les tanneries préparent chaque année des millions de peaux achetées