presqu’île est bâtie la basse-ville : agglomération dense de constructions laides, arides et plates où s’entasse une population de travailleurs misérables, respirant l’atmosphère viciée des usines. Là se trouve aussi le quartier des affaires, si tant est qu’on puisse dire qu’il se fasse des affaires à Saint-Hyacinthe ?… Le terrain y subit une dépression considérable, il y a une différence de niveau d’une soixantaine de pieds entre la rue Girouard et la rue Cascade. Cette différence est à peu près la même entre la basse ville et la rive gauche de la rivière, de sorte que la malheureuse population vit en un immense gouffre malsain et pitoyable. On y brûle durant l’été, l’hiver, le froid s’y concentre et au printemps, on tremble de voir le quartier inondé…
La haute ville est plus favorisée de la nature. Construite sur un escarpement, elle domine la rivière, reçoit à profusion les rayons du soleil ; mais que l’homme est rempli de ressources quand il s’agit de défigurer l’œuvre de Dieu !
Avec sa rage de sottes imitations de bungalows américains, de « mansions » anglaises, sa folie de neuf, de voyant, de couleurs criardes et de clinquant, la population huppée de Saint-Hyacinthe a réussi à enlaidir de maîtresse façon le plus beau paysage jamais sorti des mains du Créateur !
Vous parcourriez en vain la ville sans y trouver une de ces vieilles maisons de pierre patinées par les âges, vous ne trouveriez pas une seule de ces masures charmantes qui évoquent tout un passé. Si l’on excepte le Séminaire et le Couvent des Sœurs de la Présentation de Marie, dont les majestueuses constructions se cachent modestement dans la verdure ; mais que l’on n’a cependant pas craint de flanquer chacune d’une immense boîte à savon, il n’y a rien dans cette architecture de fortune qui parle au cœur… rien qui soit capable d’une évocation. Le passé semble faire peur aux mascoutains, on a la rage du neuf ici, et quel neuf ! Du rasta, du fade, du faux et du frelaté…
Il n’y a pas jusqu’aux églises qui n’aient tombé sous la loi commune…
La cathédrale est un immense bâtiment en pierre, véritable capharnaüm où tous les styles se sont donné rendez-vous, une construction bâtarde, un horrible fiasco architectural…
L’église de Notre Dame du Rosaire nous charme par son extérieur sobre, austère, aux lignes pures et gracieuses. Aussi, je ne vous conseille pas d’y entrer, surtout par un jour de grande fête, vous seriez bien vite désillusionnés.
Une église, c’était autrefois un lieu de prière et de recueillement, un coin retiré où le fidèle, l’âme toute remplie de la divine présence de son Créateur, en une intimité charmante, Lui disait ses peines et ses misères, lui avouait ses défaillances et Lui demandait les secours de sa grâce infinie pour affronter plus courageusement les luttes futures. De par sa mission divine et par respect pour la céleste majesté de son Hôte, on excluait de l’église toute ornementation factice de nature à distraire les yeux, à troubler le calme recueillement des âmes, le colloque spirituel des fidèles et de Jésus-Christ.
À Maska, on en a jugé autrement et si l’on n’a pas changé d’extérieur de l’église de Notre Dame du Saint Rosaire, par contre, on en a atrocement défiguré l’intérieur : les piliers massifs autrefois d’une imitation de marbre si franche et si gracieusement sobre sont maintenant recouverts d’une mince couche d’or que les ans ont verdi. Oh ! si tout ce qui brille était or ! Non satisfait de cette innovation de mauvais goût, on a dispersé de par la nef et le chœur des milliers d’ampoules électriques que l’on allume quelques secondes avant la bénédiction du Saint Sacrement ou avant l’Offertoire. Le peuple recueilli est tout à coup tiré de ses pieuses méditations par ce flot de lumières qui vient distraire ses yeux et son âme au moment où il allait s’abîmer en son humble et pieuse adoration.
Que nous sommes loin de la touchante simplicité des sermons de Jésus de Nazareth prêchant du haut d’une montagne de Galilée, ou d’une barque de pêcheur, sur le Jourdain ! Que nous sommes loin aussi des modestes cierges de cire des catacombes !
Mais revenons à Saint-Hyacinthe elle-même et à son trop fameux et peu véridique panneau-réclame.
L’Yamaska, à demi desséchée durant la majeure partie de l’année, donne une eau qui, même filtrée, est à peine potable. Les rues de la ville, bien que pavées sont cahoteuses et sales. Les quatre voies de chemin de fer se composent de deux misérables embranchements dont le service est à peu près nul et, quant aux deux autres, maintenant unifiées, elles enfument consciencieusement toute la ville. L’énergie — énergie électrique, j’entends, car l’énergie humaine me parait n’y exister qu’à l’état latent — est loin d’être illimitée et enfin, la main d’œuvre elle, doit être à très bonnes conditions, car la bonne moitié des usines chôme… Et comment pourrait-il en être autrement ? Comment pourrait-il y avoir de l’activité, de la vie dans ce repaire de rentiers qu’est Saint-Hyacinthe ?
La population se compose presqu’exclusivement d’anciens cultivateurs des environs qui, vers la cinquantaine ont passé le manche de la charrue à leur cadet pour — suivant leur expression, — « venir finir leurs jours en ville ». Ils ont bien amené avec eux leurs plus jeunes enfants, ceux qu’ils n’ont pu établir sur les terres ; mais ceux-ci se font un devoir de déserter leur ville d’adoption comme leurs parents avaient déserté la terre et, quand ils ont atteint leur majorité, s’en vont s’engouffrer dans la grande métropole.
À Saint-Hyacinthe, il n’y a que des hommes sur le déclin de la vie ou de très jeunes enfants, la population manque de cet élément robuste, actif et entreprenant qu’est l’homme de vingt à cinquante ans. La majeure partie des habitants est composée d’êtres qui attendent l’âge d’homme pour se livrer à la vie ou de quasi vieillards qui végètent en attendant la mort.
Aussi, faut voir quelle vie lasse, langoureu-