Page:Larchey - Les Excentricités du langage, 1865.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

xii
LES EXCENTRICITÉS


las ; plus mince encore, c’est un fil de fer ; tremblante, c’est un flageolet. Des jambes de danseur sont des gigues ou des gambilles ; celles d’un piéton forment un compas.

Cette finesse, cette précision se retrouvent jusque dans les diverses manières de dépenser son argent. L’avare se fend, le prodigue douille, la dupe casque, l’homme qui veut imposer la confiance éclaire.

La mort elle-même semble vouloir prêter un verbe à chaque état. Le joueur dévisse son billard, le chasseur graisse ses bottes, le bavard avale sa langue, le fumeur casse sa pipe, l’apoplectique claque, le troupier recoit son décompte, descend la garde, passe l’arme à gauche ou défile la parade, le pauvre perd une dernière fois le goût du pain.

Nous avons dit que l’argot forgeait en réalité peu de mots ; — ce sont des acceptions nouvelles qu’il invente de préférence. Tantôt il prend le tout pour la partie, tantôt la partie pour le tout ; le plus souvent il donne à un objet le nom d’une autre chose qui n’a pas le moindre rapport, mais qui, selon lui, rend mieux l’image de la chose dont on parle.

Ces sortes de travestissements sont beaucoup plus raisonnés qu’on ne se le figure. Ainsi, pour n’en citer qu’un, toquante, ognon ou cadran sont bien plus expressifs que montre. Toquante fait allusion au mouvement de l’objet ; ognon, à sa forme, et cadran, à la figure tracée sur sa paroi.