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troqué, changé, user d’un langage de railleur, de sottisier. À ce compte, les salons ont eu leur argot comme les tapis francs ; les précieuses du jour ne le cèdent en rien aux gueux de nos cours des miracles, et nous sommes autorisé à prendre notre bien où il se trouve. Mais c’est surtout au point de vue parisien que nous avons cherché à rendre ce glossaire complet, parce que, en fait de langages, Paris est le grand rendez-vous. Là, se fabriquent ou se retrempent tous les mots nouveaux : ceux du bagne comme ceux du sport, ceux du boudoir comme ceux de l’atelier, ceux de la caserne comme ceux des couloirs de l’Assemblée, ceux de la halle comme ceux du collège et du journalisme. C’est dans le grand torrent de la circulation parisienne que les nouveaux venus viennent se confondre, et s’abandonner au courant qui doit décider de leur fortune ; car Paris fait la mode des mots, comme il fait la mode des chapeaux.


Toutefois, je ne signale là qu’un premier pas. Du caprice de la mode à la consécration de l’usage et surtout au passage dans la langue régulière, il y a loin. Ici, plus que jamais, on peut répéter : « Beaucoup d’appelés, peu d’élus. »

Et, cependant, parmi les élus, combien en est-il dont vous ne soupçonneriez guère la récente origine ! Laissez-moi vous en rappeler quelques-uns. On ne s’en souvient plus assez.

S’imaginerait-on qu’en 1693, les adjectifs haineux, désœuvré, respectable, le substantif impolitesse, etc., n’étaient pas français[1] ?

S’imaginerait-on qu’en 1726, on passait pour parler argot quand on disait : détresse, scélératesse, encourageant, érudit, inattaquable, improbable, entente, naguères[2] ?

Où sait-on maintenant que, en 1803, Mercier, l’auteur du Tableau de Paris, faisait deux grands volumes tout exprès pour solliciter l’admission de mots aujourd’hui fort bien portés, tels que : fusion, fureter, franciser, flageoler, etc.,

  1. Voyez Caillières dans son livre des Mots à la mode.
  2. Voyez l’abbé Desfontaines dans son Dictionnaire néologique.