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Mais nous ne saurions laisser le lecteur en une telle compagnie. Ajoutons, pour terminer, que si nous puisions plus largement aux sources manuscrites, on verrait combien l’argot fait de chemin, non plus dans les dernières couches sociales, mais dans la classe la plus intelligente et la plus relevée. J’en peux donner une preuve curieuse entre toutes, recueillie dans la collection d’autographes de M. Eugène Minoret, qui possède une partie de la correspondance intime de George Sand. Vers la fin de sa vie, à propos de théâtre, elle écrit à un vieil ami de la famille qui l’accompagnait dans ses voyages à Paris ou à Palaiseau :

« … Tu es un rude gobeur comme moi ; tu écoutes et tu ne critiques pas pendant la pièce… » (28 novembre 1865.)
    « … Je nai pas eu un cil mouillé, et tu sais si je suis gobeuse. » (19 mars 1866.)
    Le verbe piocher revient souvent sous la plume de cette grande travailleuse.
    « J’ai bien pioché, dit-elle le 1er janvier 1866. — Du moment que tu pioches, c’est bon ! écrit-elle encore vingt-cinq jours après. » (25 janvier 1866.)
    Et plus loin :
    « … Tu es un fameux loupeur, on ne te trouve jamais chez toi… » (15 avril 1866.)
    « … Je broie du noir… » (15 avril 1866.)
    « … J’ai très bien dormi avec mon perdreau dans le fusil. » (4 janvier 1867.)
    « … Tâche de nous avoir des passes pour que nous puissions voyager à l’œil. » (4 janvier 1867.)
    « … Il paraît que la panne te tient en haleine et en progrès… »
    « … Tu n’as pas soixante-cinq ans dans ton coffre. » (31 octobre 1868.)
    « … Les Parisiens sont des lâcheurs. » (2 janvier 1875.)

Toutes ces facéties étaient signées George Sand. Comme elles n’étaient pas destinées à la publicité, leur divulgation ne saurait porter atteinte à une réputation littéraire qui reste, à bon droit, des plus pures. Elle montre seulement qu’aux heures de repos, l’écrivain se dédommageait volontiers de toute contrainte grammaticale, usant des libertés de langage à la mode dans le petit cénacle d’artistes qui admirait en elle le plus simple et le plus cordial des camarades. À son exemple, d’ailleurs, Balzac et d’autres grands esprits de notre