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J’ai déjà montré que, dans le langage comme dans la correspondance des malfaiteurs, l’argot ne comptait jamais que pour une faible partie du texte. Plusieurs lettres ont été citées comme preuves à l’appui ; en voici une autre non moins inédite et non moins curieuse. Le lecteur est prié de remarquer qu’elle est généralement orthographiée. Je regrette de ne pouvoir reproduire l’en-tête illustré et peint qui représente un groupe de chérubins entourant une croix. Au-dessous de cette pieuse composition, on lit :

Paris, ce 30 mai 1876.

        Ma chère petite femme,

Un des grands bonheurs, c’est d’écrire une lettre d’amitié à une petite femme que l’on aime.
    Je te recommande une chose, c’est : qu’aussitôt ta mise en liberté, de venir me voir et ensuite d’aller chez ma mère. Tout ce que j’ai à te recommander, c’est qu’une fois sortie de ne pas faire de bêtises, et de te rendre au gré (répondre aux demandes) de M. P…, car il y a peu de juges d’instruction qui ont une pareille bienveillance, envers les détenus, ce serait donc lui faire arriver des désagréments si tu ne te rendais à lui selon sa volonté.
    Ma chère petite femme, j’ai appris que les idées à Marie Loudevig, étaient changées à l’égard de Jean Keipp, mais si Marie l’a gamelé, je te dirai aussi qu’il nous a attachés un bidon le jour que je t’ai vue à l’instruction, pour aller avec Henri Chevet, il nous a quittés réellement comme un petit muffe et même sans nous prévenir, je te prierai de croire qu’il ne boira plus à notre table à l’avenir, ou bien si il y boit ce sera vraiment dans la grande tasse, car Ursin et Billon, ne sont pas trop contents après lui.
    Mon cher petit bébé chéri, une chose essentielle que j’allais oublier c’est : que quand tu viendras me voir, je te prierai de m’envoyer mon foulard, mes chaussettes ainsi que de l’encre bleue, de l’encre rouge, des crayons de toutes sortes de couleurs sans oublier du papier à lettres.
    Tant qu’à ce qui concerne la famille, tu pourras aller voir les parents et sans aucune crainte, car au contraire cela leur fera un sensible plaisir, voici leurs adresses : La mère, rue N……, n° 27 (en face la rue H……), aux 2 Moulins, ce n’est aucunement de ma faute si je ne t’en mets pas plus long, car je pars pour l’instruction.
    Je crois que tu ne pourras pas faire de jardin sur cette petite lettre, car il n’y a pas de mauvais bonniments, si il n’y en a pas long c’est assez joli ; car Billon a embelli ma lettre en y faisant les anges et les dessins qui sont en tête.
    Je termine en t’embrassant 45 minutes sans baver. Ton homme qui n’aime que toi pour la vie !

C. E.

U… vous souhaite le bonjour à toi et à Marie.

Mazas, 6e Don 86.