Page:Larchey - Dictionnaire historique d’argot - 9e édition.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Le parler que j’aime, tel sur le papier, qu’à la bouche, c’est un parler succulent et nerveux, court et serré ; non tant délicat et peigné, comme véhément et brusque ; plutôt difficile qu’ennuyeux ; déréglé, décousu et hardi ; — chaque lopin y fasse son corps ! — non pédantesque, mais plutôt soldatesque, comme Suétone appelle celui de Jules César. »


Il est vrai qu’alors on n’innovait pas volontiers en fait de langage. — Ainsi voyons-nous le poëte Voiture railler quelquefois son ami Vaugelas sur le trop de soin qu’il employait à sa traduction de Quinte-Curce :


« Il lui disait, rapporte l’abbé Raynal (Anecdotes littéraires), qu’il n’aurait jamais achevé ; que pendant qu’il en polirait une partie, notre langue venant à changer, l’obligerait à refaire toutes les autres. À quoi il appliquait plaisamment ce qui est dit dans Martial de ce barbier qui était si longtemps à faire une barbe qu’avant qu’il l’eût achevée, elle commençait à revenir… »


Un auteur que nous avons déjà cité, Caillières, fit, en 1693, un petit livre sur les Mots à la mode et les Nouvelles façons de parler. En voici un passage qui convient parfaitement à notre sujet :


« Pour m’expliquer mieux, je vous dirai qu’il y a deux sortes d’usages (de mots nouveaux), le bon et le mauvais. Ce dernier est celui qui n’étant appuyé d’aucunes raisons, non plus que la mode des habits, passe comme elle en fort peu de temps. — Il n’en est pas de même du bon usage. Comme il est accompagné du bon sens dans toutes les nouvelles façons de parler qu’il a introduites en notre langue, elles sont de durée à cause de la commodité qu’on trouve à s’en servir pour se bien exprimer, et c’est ainsi qu’elle s’enrichit tous les jours… »


L’opinion de Caillières devait être vulgarisée plus tard par l’écrivain le plus éminemment français. Les Voltairiana nous rapportent que, dans une séance particulière de l’Académie, Voltaire se plaignit de la pauvreté de la langue ; il parla encore de quelques mots usités, et dit qu’il serait à désirer qu’on adoptât celui de tragédien, par exemple. « Notre langue, ajoutait-il, est une gueuse fière ; il faut lui faire l’aumône malgré elle. »