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« La langue argotique semble aujourd’hui être arrivée à son apogée ; elle n’est plus seulement celle des tavernes et des mauvais lieux, elle est aussi celle des théâtres ; encore quelques pas et l’entrée des salons lui sera permise. »


Ceci était écrit en 1837. En 1842, la même remarque était faite par un homme d’esprit, plus en mesure que Vidocq de suivre les progrès de l’argot dans les salons. Nous voulons parler de Nestor Roqueplan. Il constate ironiquement l’invasion prédite.


« Il s’opère depuis quelque temps une révolution sensible de mœurs et de langage… Le langage surtout a subi d’heureuses altérations, des gallicismes raffinés et polis qui feront pester l’Académie et sourire agréablement les femmes élégantes. C’est tout profit pour les gens de goût. »


Presque en même temps que Roqueplan, Balzac s’émeut. Mais il prend la chose plus au sérieux. L’argot a séduit son instinct analytique. Il l’admire presque quand il écrit ces lignes :


« Disons-le, peut-être à l’étonnement de beaucoup de gens, il n’est pas de langue plus énergique ; plus colorée que celle de ce monde… L’argot va toujours, d’ailleurs ! Il suit la civilisation, il s’enrichit d’expressions nouvelles à chaque nouvelle invention. »


Si les lecteurs doutaient encore de la marche ascendante que nous venons de suivre pas à pas, deux citations nouvelles achèveront de les éclairer. L’une est de 1862, et vient du Figaro. C’est M. A. Morel, l’un de ses rédacteurs, qui parle :


« En lisant la nomenclature des termes jadis propres aux conversations du brigandage et de la filouterie, on devine d’une part qu’un certain nombre de ces termes ne subsisteront pas longtemps, et, d’autre part, on aperçoit que beaucoup ont pris droit de cité dans l’usage public. Quel Parisien, même rangé, même prude, ignore absolument que l’eau d’affe, c’est de l’eau-de-vie ; la bouffarde, une pipe ; la dèche, les ennuis de la misère ; que balle veut dire tête, etc. ? Où n’entend-on pas ces mots-là ? Les gros railleurs ont commencé par s’en servir, pour se donner un air de finesse et de liberté ; mais bientôt ces mots narquois seront comme les doublures naturelles des termes correspondants et peut-être prévaudront-ils. »