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(consigner) sort de la caserne, que faire le poivrier (voler un ivrogne) est une expression partie des classes dangereuses. Cela va de soi.

En spécialisant, on court un autre danger, on reste fatalement au-dessous de sa tâche. Chaque corps de métier, chaque atelier, chaque collège, chaque café, chaque quartier ont leurs petits argots. Si vous donnez l’un, il faut les donner tous. Vous vous noyez alors dans l’infini et dans le puéril. Si vous donnez l’argot des marbriers de cimetière, pourquoi ne pas donner celui des marbriers de cheminée, des praticiens, des sculpteurs, des carriers des Vosges ou des Pyrénées ?

C’est pour cela que nous avons tenu, autant que possible, à ne prendre que des mots déjà imprimés n’importe où, dans le gros livre comme dans la chanson des rues[1].

L’exemple a encore un avantage : c’est d’offrir une base certaine à la recherche de l’étymologie et de vous débarrasser des anecdotes douteuses qui ont pullulé en ces derniers temps sous prétexte d’éclaircir certaines origines. C’est ainsi que

  1. Ce cadre était déjà restreint. Nous l’avons restreint encore en nous bornant à Paris. La tâche eût été bien plus grande sans cela. Chaque province a son argot et celui des canuts lyonnais défrayerait à lui seul un volume aussi gros que le nôtre. M. H. Nazet n’écrivait-il pas en 1872 à l’Éclair, pour lequel il suivait à Lyon les débats de l’affaire de la rue Grôlée :
    « Rien de typique comme l’argot canut.
    « MM. les tisseurs ont transporté dans la vie privée le langage de leur profession ; c’est un parler étrange qui ne manque pas de pittoresque ;
    « Quand une affaire est difficile, on dit qu’elle tire au peigne, expression qui provient de ce qu’elle se dit lorsque là soie ne passe pas facilement dans le peigne du métier et que le travail est dur.
    « Tenir tirant est une autre formule, qui se traduit assez bien par « s’entêter. » On tient tirant, au métier, pour empêcher la soie d’être trop serrée.
    « Enfin, une dernière phrase, toute pittoresque, dérive de ce que, quand la chaîne devient claire sur le rouleau et laisse voir le bois, au moment où la pièce touche à sa fin ; le canut dit alors que son rouleau rit de derrière, et applique cette formule au monsieur qui perd ses cheveux.
    « — En voici un dont le rouleau rit de derrière !
    « J’en passe des meilleures. »