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Je me rappellerai toute ma vie le jour où j’entendis prononcer ce nom pour la première fois. C’était en omnibus. Le conducteur, un gai compagnon, égayait de son mieux la monotonie du devoir qui l’obligeait à décliner tout haut le nom de certaines voies. À l’instant où son véhicule quittait la rue des Noyers pour traverser la place Maubert, qui était alors le centre d’un réseau de ruelles noirâtres où grouillait la plus misérable population, — voilà notre homme qui s’écrie : « Place Maubert, rue Saint-Victor, Panthéon ! Il n’y a personne pour le quartier souffrant ? » — Et une pauvre vieille hâve, déguenillée, se dressa péniblement et descendit à cet appel comme une justification vivante de l’épithète.

C’est dans le même esprit qu’on a trouvé des expressions presque gaies pour des choses lugubres. Un faubourien qui se casse la jambe dira par crânerie : C’est un détail. Une femme abandonnée par celui qu’elle aime dira, en étouffant ses sanglots : Ça n’est pas drôle, ce qu’il a fait là.

Vous n’avez pas besoin de leur prêcher la philosophie, à ces pauvres diables ! ils connaissent le mot, car ils l’ont pris pour synonyme de misère. Quelle ironie ! Ils ont même décoré leurs savates du titre de philosophes. Peut-on mieux montrer, — je vous le demande, — la théorie foulée aux pieds par la réalité ?


Les synonymes significatifs de dur, raide, rude, trois-six, verre pilé, tord-boyaux, casse-poitrine, disent assez pourquoi les malheureux en sont venus à nommer consolation un verre d’eau-de-vie. Ce n’est pas à cause de sa douceur. Ce n’est pas la boisson en elle-même qu’ils recherchent, car ils en connaissent les tristes effets ; c’est un étourdissement momentané, c’est une consolation fictive.

Et la pipe, cet autre palliatif populaire, y a-t-il une seule des cent satires faites depuis cinquante ans contre son abus