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ont fait des mots accentués comme leurs ragoûts favoris et faits pour traverser les palais plébéiens que n’effrayent pas les fortes épices.

Si on veut donc bien ne pas se choquer de la rusticité de cette forme, l’étude de l’argot parisien fera découvrir, au degré le plus éminent, certaines qualités de couleur.

Comme il est bien nommé brutal ce canon qui, après avoir grondé de sa grosse voix, culbute tout sans dire gare !

Et béguin, cet amour terrestre qui vous isole au milieu de la vie mondaine avec les extases du cénobite !

Combien les mots richesse, crédit, fortune paraissent fades à côté de ces quatre monosyllabes : Il a le sac !Il a le sac, c’est-à-dire : ses louis sont en tas sous sa main ; d’un geste, il peut faire rouler à vos yeux ces belles espèces sonnantes.

Nous avons dit que l’argot forgeait en réalité peu de mots ; — ce sont des acceptions nouvelles qu’il invente de préférence.

Parfois ces sortes de travestissements sont plus raisonnés qu’on ne se le figure.

Ainsi, pour n’en citer qu’un, — toquante, ognon ou cadran sont bien plus expressifs que montre.

Toquante fait allusion au mouvement de l’objet (toc, toc) ; ognon, à sa forme ; cadran, à la figure tracée sur sa paroi. Ces synonymes offrent l’avantage d’une allusion directe à la chose ; ils se gravent mieux dans la tête, tandis que montre est, pour la mémoire des simples, beaucoup plus énigmatique. — Cet exemple est loin d’être le seul, mais il suffira, je l’espère, pour affirmer les tendances mnémotechniques de l’argot.


Selon nous, il doit être aussi beaucoup pardonné aux licences du langage populaire, en raison des infortunes qu’il décèle souvent.

Ainsi la plèbe parisienne a trouvé une équivoque saisissante pour désigner certains quartiers où la misère fait élection de domicile ; elle les appelle quartiers souffrants[1].

  1. On comprendra mieux cette équivoque après avoir lu ce passage du journal le Petit Moniteur (9 février 1876) : « Ce n’était pas Paris, c’était le quartier Mouffetard ; le quartier souffrant, comme le peuple raillant sa propre misère l’appelait par allusion aux fabricants d’allumettes soufrées qui s’y étaient établis avant l’invention des allumettes chimiques. »