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À LA PENSÉE FRANÇAISE

Déjà sa course a franchi les ruisseaux
Où de Ruben s’abreuvent les troupeaux ;
En s’avançant dans la fertile plaine
Dans les jardins, il reconnaît à peine
Les bois grandis, les jeunes arbrisseaux.
A son départ famille humble et rampante,
Qui, dans les airs, déployant ses rameaux,
Du vieux Ruben couvre aujourd’hui la tente.
De ce réduit qu’habite encor le deuil,
Il touche enfin le redoutable seuil.
… Ah ! c’en est trop. Brusquement, Azaël,
Rendu sans doute à sa vertu première,
Ouvre la tente, et, comme un criminel,
Le cœur brisé, le front dans la poussière :
« Grâce, dit il ! je suis ce malheureux
« Qui, s’échappant de vos bras généreux,
« Loin du séjour de son heureuse enfance
« Alla porter sa folle indépendance !
« Sur quel espoir, et pour quels biens honteux
« Je dédaignai le bonheur véritable !
« Ah ! quand le cœur forme un dessein coupable,
« Dieu nous punit, en exauçant nos vœux.
« Couvert de honte, accablé de souffrance.
« La mort longtemps fut ma seule espérance ;
« Je l’implorais ; enfin, je me suis dit :
« Rassure-toi, tu ne fus pas maudit,
« Et le remords m’a conduit à mon père.
« S’il est un vœu que j’ose encor former,
« Mon lâche cœur ne vient pas réclamer
« Ces noms si doux et de fils et de frère.
« Où sont mes droits à ces titres flatteurs ?
« J’ai tout perdu ; mais, pour unique grâce,
« Souffrez qu’au moins, parmi vos serviteurs,
« On me reçoive à la dernière place. »
D’un fils coupable, ô fortuné retour !
Hélas, d’un père inépuisable amour !
Eh ! qui peindrait ce moment plein de charmes,