Page:Lara - Contribution de la Guadeloupe à la pensée française, 1936.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
213
À LA PENSÉE FRANÇAISE

Robespierre : "Ne troublons pas le monde pour des théories !" Les orateurs du Gouvernement, Bruix et Regnault de Saint-Jean d’Angély s’exprimèrent dans le même sens ; le premier soutint que la liberté, dans les temps modernes, avait besoin, comme jadis à Rome, pour exister, d’être entourée d’esclaves ; le second proclama que le temps des folies humanitaires était passé, et qu’il fallait avoir le courage de rétrograder hardiment. Tous ces parvenus de la Révolution estimaient que la liberté, qui les avait tirés du néant, et qui les avait mis à des places où ils entendaient rester, n’était plus nécessaire au monde. La loi fut votée par 211 voix contre 63.

C’était donc de propos délibéré, malgré les assurances contraires, que celui qui devait être un jour le captif de Sainte-Hélène, avait décidé de remettre dans les fers des hommes que la Révolution avait délivrés, et qui avaient versé leur sang pour la défense du drapeau national. Et c’est pourquoi le Chef de bataillon Delgrès et ses derniers amis, qui aimèrent mieux s’ensevelir sous un monceau de cendres que d’acquiescer à la perpétration de ce crime, ne furent pas des rebelles, mais les émules et les imitateurs des légendaires lutteurs qui ont bâti la France moderne sur les débris des vieilles tyrannies :

… egregiæ animæ quæ sanguine nobis
Hanc patriam peperere suo…

On trouve encore à la Guadeloupe des traces de cette guerre de 1802, qui forme un des accidents les plus douloureux de notre grande épopée républicaine. Richepance succomba dans cette île à la fièvre jaune, comme Leclerc à Saint-Domingue, et laissa son nom à l’ancien fort Saint-Charles, à la Basse-Terre. C’est là que repose, dans un simple tombeau, que la piété des chefs militaires de la colonie a préservé des dégradations, le vaillant général qui fut le compagnon de gloire des Hoche, des Marceau, des Kléber, et qui méritait de mourir pour