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— Pas si définitivement que tu veux bien le dire, répliqua Guérin… Conseillé par mes amis, et aidé par eux, je me suis décidé, après de longues hésitations, à me pourvoir en cassation… La Chambre des requêtes a bien voulu admettre mon pourvoi… la Cour de cassation cassa l’arrêt qui nous était contraire… et enfin la Cour de Rouen, devant laquelle nous avons été renvoyés, nous donna gain de cause avec de tels considérants que notre adversaire renonce à la lutte… Bien du temps s’est encore écoulé, mais j’ai été enfin mis aujourd’hui en possession de toute la fortune de mon frère… Tu n’as pas compris grand’chose à cette procédure, mais qu’il te suffise de savoir, chère enfant, que ce portefeuille contient cinq cent trente mille francs, c’est-à-dire une fortune.

La voix du capitaine, ferme au début, s’était attendrie, et, pendant qu’il prononçait ces derniers mots, on eût pu voir une grosse larme sortir de ses yeux, rouler sur sa joue, et se perdre dans sa moustache.

Zoé Lacassade, impressionnable comme toutes les créoles, nerveuse à l’excès, pleurait aussi de joie. Jeanne, elle, ne pleurait pas, mais elle avait fait le tour de la table, s’était assise sur les genoux du vieux soldat, et l’entourant de ses bras, son visage près du sien, elle lui disait :

— C’était donc pour mieux suivre ce procès, pour m’enrichir, que tu me quittais si souvent… Et moi qui t’accusais de te déranger, moi qui t’ai soupçonné un jour de me laisser seule pour aller au café faire ta partie de piquet… Oh ! cher père, je ne me pardonnerai jamais…

— Tais-toi ! veux-tu bien te taire, grommelait le capitaine, tu vas me faire pleurer comme une bête.

— Tant pis… je ne me tairai pas avant de t’avoir dit que tu es le meilleur des pères… Oh ! ce n’est pas à cause de l’argent que tu m’apportes ; je suis heureuse avec toi, je n’ai besoin de rien… Mais quel courage il