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— Comme tu te déranges, papa, depuis quelque temps.. Je ne te reconnais plus… tu es tous les jours dehors à courir.

— J’ai des affaires, Mademoiselle !

— Des affaires, des affaires ! tu ne devais en avoir qu’une : celle de m’aimer.

— Ce n’est pas suffisant, fit-il, en portant son verre à ses lèvres. Mais elle ne lui laissa pas le temps de boire, elle s’était élancée vers lui, et frôlant ses grosses moustaches, le regardant d’un air mutin, elle disait :

— Répète, répète donc un peu… si tu l’oses… pour voir.

Il n’osa pas et préféra l’embrasser.

Bientôt ils se levèrent de table, gravirent l’escalier tortueux et le capitaine se retira dans sa chambre pour s’habiller. Mais Jeanne n’abandonna pas son père, elle resta dans le petit salon et, par la porte entr’ouverte, ils causaient toujours ensemble ; ils ne voulaient se faire tort d’aucun instant.

— C’est la dernière fois, disait-elle, que je te laisserai m’abandonner toute une journée… Je m’ennuie, quand tu n’es pas là… puis, j’ai peur de cette maison isolée, sur ce boulevard perdu.

— Toi ! peur, criait le capitaine, toi, la fille d’un vieux soldat… Tu te calomnies, je te connais. — Tu as beau me connaître, faisait-elle en se rapprochant de la porte.

— Bah ! je ne te quitterai plus à partir de demain, je te le promets, et aujourd’hui, tu ne seras pas seule… ta bonne amie ne vient-elle pas passer la journée avec toi ?… Vous n’aurez pas le temps d’avoir peur ni l’une ni l’autre… Vous surveillerez la femme de ménage, à qui je t’autorise à commander un bon dîner ; je t’ouvre un crédit de dix francs.

— Dix francs pour notre dîner, s’écria Jeanne déci-