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CONTRIBUTION DE LA GUADELOUPE

le boulevard Bonne-Nouvelle, eut un coupé et se fit recevoir membre d’un cercle.

— Ne t’effraye pas, disait-il à son frère Jules, je m’arrange une bonne vie de vieux garçon pour n’être pas tenté de me marier, et pour pouvoir laisser un jour, le plus tard possible, toute ma fortune à ma chère nièce.

Fort de ces paroles, le capitaine continuait à vivre modestement auprès de Jeanne, qu’il menait voir de temps à autre, — pas trop souvent pour ne pas le gêner, — l’oncle millionnaire, disait-on.

Claude Guérin mourut brusquement à la fin de 1871 d’une congestion cérébrale. Son frère fut très affligé de cette mort imprévue et le pleura sincèrement. Puis, lorsqu’il eut payé cette dette à sa mémoire, il se rendit chez le notaire pour qu’on lui donnât connaissance du testament.

On l’ouvrit devant lui : le défunt laissait toute sa fortune à une nommée Mathilde Simonnet, connue dans Paris sous le nom de Mathilde de Villeneuve, une sorte de femme déclassée, artiste dramatique à ses heures, le plus souvent femme galante. Tandis que le confiant capitaine qui se consacrait entièrement à sa fille, n’avait ni le temps ni le souci de surveiller son frère, ladite Mathilde de Villeneuve s’était peu à peu glissée dans l’intimité de Claude Guérin. Jeune, intelligente, jolie, superbe de formes, d’une rare élégance, experte en l’art de séduire un vieillard, elle avait absolument accaparé le négociant retraité, qui avait eu le tort de vouloir commencer à vivre, au moment où l’on devrait se reposer d’avoir vécu. La déception du capitaine fut grande ; cette fortune qui lui échappait, il n’y tenait aucunement pour lui ; ses goûts étaient des plus simples, des plus modestes. Mais il l’avait rêvée pour sa Jeanne bien-aimée. Et, au moment où il croyait la tenir, où tout lui donnait le droit d’y compter, — sa proche parenté, l’absence d’autres héritiers, les promesses de son frère, l’affec-