Page:Lara - Contribution de la Guadeloupe à la pensée française, 1936.djvu/120

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

106

CONTRIBUTION DE LA GUADELOUPE



habile ; puis, retournant son arme, le fil en dessus, il fendit délicatement le jabot du perdreau, et, pendant que quelques grosses truffes coulaient à droite et à gauche dans le plat, un parfum délicieux embauma toute la salle, et amena un sourire de jubilation sur les lèvres des convives, sourire dont Mademoiselle Marthe ne sut vraiment pas se défendre.

L’abbé avança une assiette et y déposa le morceau succulent que portait sa fourchette ; puis, il l’entoura de quatre belles truffes qu’il alla chercher dans les entrailles de la bête, et il l’arrosa d’un petit filet de sang, joignit au tout deux becs-figues, et appela la cuisinière.

— Benoîte, ma chère dame, vous me mettrez ceci au garde-manger, car j’ai fait aujourd’hui une vraie trouvaille ; Mademoiselle Marthe vous dira le reste.

La cuisinière emporta l’assiette en faisant une demi-révérence, et le vicomte put l’entendre marmotter : "Pauvre cher homme de bon Dieu ! faut espérer que ça ne mourra jamais ! "

— Je devine que ce que vous venez de faire cache quelque charité, dit M. de Fontac.

— Goûtez-moi cela, mon jeune ami, répondit le cha- noine, qui fit semblant de ne pas avoir entendu, et voyons si vous êtes amateur.

— Quel fumet !

— N’est-ce pas ? un peu de Bordeaux…

— Vrai, vous avez piqué ma curiosité, mon père ; et cette aile de perdrix qui vient de passer à l’office…

— Ah ! gourmand, vous la regrettez… Eh bien, est- ce une perdrix rouge ou une perdrix grise ?

— Combien Dieu vous doit tenir compte, mon bon père, de ces aumônes que vous envoyez ainsi séance tenante.

— Monsieur l’abbé deviendra sourd avant de répon- dre à la question que vous lui faites pour la troisième fois, dit la gouvernante avec vivacité ; mais puisqu’il