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A LA PENSÉE FRANÇAISE




— Hélas, Monsieur, dirent à la fois les deux excellentes gardiennes du logis, vous nous avez fait une belle peur !

— Mes chères filles, dit l’abbé en livrant ses bras à ses deux aides, à mon âge, à cette heure on ne se promène pas sans raison par les rues… Merci, Marthe ; Merci, Benoîte… Ouf ! je sue sang et eau ; ce manteau est trop lourd, il m’accable !

— Ne pouviez-vous pas prendre une voiture, puis- que le jeune homme vous attend dans votre cabinet

— Vous avez souvent raison… doucement, Benoîte, ma mie, ne menez pas si rudement mon manteau ; la colère est une laide conseillère.

— Monsieur l’abbé, j’ai roussi deux fois votre souper.

— Hein ?

— A huit heures tout était prêt comme d’habitude, et j’ose dire que le service avait bonne mine ; à neuf heures, à force de tirer et de remettre au feu, tout était séché, brûlé…

— J’en suis désolé ; mais qu’y faire ? Et qu’aviez-vous préparé, Benoîte, ma mie, dit M. de Brionne en tournant le dos à la cheminée et présentant alternativement ses pieds au feu… quelque bonne friandise, j’imagine ?

Ici la gouvernante tira l’abbé par la manche, et ouvrit la bouche pour prendre la parole ; mais l’abbé lui imposant silence par un geste affectueux, prêta une grave attention à sa servante après lui avoir dit :

— Contez-moi cela, ma mie, contez.

— J’avais, reprit la cuisinière avec une savante importance, j’avais pour potage une purée de racines pilées au mortier…

— Aviez-vous mis un demi-caramel ? interrompit l’abbé.

— Et donc ?

— Bien, très bien.

— Des filets de sole à l’italienne.

— Hum ! Avec un peu de muscade râpée !</poem>