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A LA PENSÉE FRANÇAISE



divisa les affranchis en catégories : elle ne donna les droits de citoyen actif qu’à ceux qui étaient nés de pères et mères libres, laissant le sort des autres au vœu libre et spontané des colonies.

Néanmoins, les colons furent insensibles à tant de modération ; ils laissèrent éclater leur colère ; la seule pensée de s’attendre à voir un jour un nègre ou mulâtre siéger à leurs côtés dans une assemblée coloniale leur donna le vertige ; les uns furent à Londres implorer la protection du cabinet britannique ; d’autres partirent pour les îles et laissèrent échapper dans les ports d’embarquement, un emportement qui décelait de sinistres projets ; les députés des colonies à l’Assemblée Nationale s’abstinrent de siéger ; le Comité Colonial déclara qu’il suspendait ses fonctions, mais il conserva sa dangereuse influence sur le ministère pour le paralyser.

La colère des colons était grande. Le volcan allait faire explosion. Les persécutions contre les noirs et les mulâtres allaient être plus que jamais ardentes. Il fallait, puisque la voix de la métropole était impuissante, en appeler aux armes et se faire justice soi-même. Le sort en était jeté. Ce que n’avaient pu obtenir la patience des opprimés, les droits de l’humanité, la voix de la religion, les liens du sang, les efforts de la philantropie, la volonté de l’Assemblée Nationale, les armes allaient le décider.

L’insurrection fut grande ; elle s’organisa et remporta des victoires à Saint-Domingue. Les princes de l’épiderme ne s’étaient pas attendus à des revers aussi subits et aussi désastreux ; les uns tremblaient de peur ; les autres frémissaient de rage ; la crainte de voir les affranchis parvenir à l’égalité des droits politiques, leur suggéra la criminelle pensée de livrer la colonie aux Anglais.

Cependant l’Assemblée Législative, au milieu de tiraillements, rendit le 24 septembre 1791, sur la notion de Barnave, un nouveau décret qui, en abrogeant celui